Abîme aujourd'hui la ville

François Bon

De François Bon

Photographies Jérôme Schlomoff

Présenté au Théâtre de la Tempête, dans le cadre des Rencontres à la Cartoucherie, en juin 1999. Puis créé au Théâtre du Chien qui fume à Avignon, en juillet 2000.

Mise en scène Claude Baqué

avec Annie Mercier, Thierry Mettetal, Claude Baqué

Scénographie-Lumières Matthieu Ferry / Costumes Julie Deljeiher / Réalisation sonore François Olivier

Production déléguée Acte2Deux

Théâtre partenaires Le Forum du Blanc-Mesnil / Le Salmanazar d’Epernay

Ce spectacle a reçu le soutien de la Fondation Beaumarchais, ainsi que l’Aide à la Création Dramatique de la DMDTS

Note de mise en scène

 

Chaque jour, dans nos villes, à nos portes, sous nos yeux, un sacrifice humain : les « sans-abri ».

Lignes de front. François Bon est allé à leur rencontre. Ils ont parlé. Ils ont écrit. Il a rassemblé ces paroles, ces écrits. Nous dirons ces mots-là.

Lignes arrière. François Bon a écrit à son tour, à son retour. Nous dirons aussi ses mots à lui.

Lignes de fuite. Jérome Schlomoff les a pris en photo. Nous projetterons leurs portraits.

Mise en abîme. Ces lignes se croisent, pour former le triangle qui dessine les contours de l’abîme. Au Moyen-âge, on appelait représentation une sorte de cercueil vide recouvert d’un drap, pour les cérémonies. La scène sera cette nappe souterraine où affleurent les paroles englouties.

Une femme nous parle, de ceux dont les visages défilent sur l’écran. Les sans-abri. Patrick, Pôm, Le petit Lambert. Portraits. La voix qui dit « il ».

Une jeune homme apparaît, disparaît. Il dit leur histoire, leurs mots, presque les mêmes, maman, papa, mort. Bascule. La voix qui dit « je ».

Absence de ceux dont on voit l’image, dont on entend les mots. Adam, Angeline, Alexandre. Ceux qui sont vivants, ceux qui ne le sont plus. Abîme.

On ne sait plus dire, pour soi-même y compris, autre ment que « on ».

Claude Baqué

«La question qu’on nous a souvent posée, c’est comment au début franchir ce rideau, qui en pleine ville isole ceux qui ont un toit de ceux qui n’en ont pas. Question qu’il n’a pas été besoin, en fait, de poser. On est avec des hommes, des femmes, pour qui la vie a cette même complexité qu’elle a pour chacun de nous au monde, et le présent une somme superposée de trajets, d’histoires, de filiations et d’aventures, où la parole est forcément au centre, si c’est par elle, la parole, qu’on rejoint l’autre, qu’on partage le plus précieux comme l’information la plus simple, et qu’en même temps, cette parole on peut la retourner comme un gant : qu’on l’examine de près, et c’est tous les écrits du monde qui se fixent un instant sous le regard, non pas qu’on puisse en lever l’énigme, mais au moins se la rendre plus proche».

François Bon

PRESSE ABÎME

Extraits de presse / Abîme aujourd'hui la ville
(télécharger le pdf)

« Quelle représentation possible de la misère sociale au théâtre qui évite le voyeurisme, le pathos ou la démonstration bien pensante. La réponse est délicate et bien peu se risquent dans ce domaine. À partir d’un travail de François Bon auprès des sans-abri à Nancy, Claude Baqué a composé un spectacle d’une égale intégrité morale. Trois comédiens, Annie Mercier, Thierry Mettetal et Claude Baqué lui-même, dont le jeu fuit tout pittoresque malsain, font entendre, par bribes, les paroles de ces « marginaux » dont les portraits par Jérôme Schlomoff sont projetés sur un écran. Le dispositif scénique, comme les lumières de Matthieu Ferry sont sobres et beaux, une exigence qui signifie ici respect pour ceux dont on rapporte la souffrance. En la matière la question des moyens est essentielle et si cet Abîme aujourd’hui la ville n’épuise évidemment pas le débat, il lui donne une réponse convaincante et digne. On touche-là, au-delà de la circonstance de destins détruits, à des vérités humaines dont le partage est universel.

Jean-Pierre Siméon – L’Humanité – 24 juillet 2000

« Un spectacle sur les SDF ? Ça fait peur. Peur de se retrouver voyeur de la misère, peur du misérabilisme ou d’un discours politico-moralisateur. Claude Baqué a évité tous ces pièges, tout comme les avait évités François Bon dans son écriture. Ou plutôt celle des hommes et femmes de la rue qu’il a rencontrés. Qui ont accepté de lui donner leur parole ou leur silence. Qui ont accepté de donner leur visage à Jérôme Schlomoff pour d’immenses portrais projetés pendant la représentation. Annie Mercier regarde, les portraits. « Celui qui a perdu un œil, il dit… ». Ce sont leurs mots à eux qu’elle prononce avec retenue, avec respect. Parfois, elle se laisse aller « tous les jours, il y a un mot où le mort habite ». Fantôme du château, Thierry Mettetal diffuse une sorte de sérénité tragique, celle des archanges de la mort. De la forme blanche si souvent recroquevillée— à’, l’ombre noire géante sur’ l’écran, ‘sa’ voix si douce égrène: « J’en ai rien à foudre de la vie ». Le travail des lumières de Matthieu Ferry est un écho respectueux des mots. Des non-dits. Qu’il y a de grandeur au fond de cet abîme lorsqu’on s’y penche avec respect et pudeur. »

Mitzi Gerber – Le Dauphiné Libéré – 23 juillet 2000

« Des chaises parsemées sur un grand plateau presque vide. Au centre, un écran immense. Des photos noir et blanc de visages en gros plan s’y succèdent et alternent avec l’ombre projetée d’un personnage lunaire -Thierry Mettetal- qui raconte à la 1ère personne, quand les accents profonds et chauds d’Annie Mercier parlent à la 3ème. – – Ponctuellement, très fort, Johnny Hallyday. Les visages ont un nom, pas d’adresse, la misère de leur vie déborde sur les rives douloureuses d’une conscience collective bridée. Ce spectacle puissant et généreux justifie la légitimité de toute existence, restaure l’identité oubliée. L’humain réhabilite l’humain. Bravo à Acte Deux, François Bon, Claude Baqué, Jérôme Schlomoff. »

Natache Badia – La Provence – 30 juillet 2000

« En 1995, à l’invitation du metteur en scène Charles Tordjman, le romancier François Bon s’associait à la vie du théâtre de la Manufacture à Nancy et animait un atelier d’écriture ouvert aux sans-abri. De cette expérience, sont nés plusieurs ouvrages, notamment La Douceur dans l’abîme (éd. de la Nuée Bleue, 1999) réalisé avec le photographe Jérôme Schlomoff, qui met en vis à vis les visages cadrés serrés et les mots nés de l’atelier.

Rencontre singulière. A sa manière si particulière (ni roman, ni témoignage), l’auteur s’était emparé de leur parole pour écrire avec ses propres mots. Plus tard, les textes avaient été restitués à ceux qui les ont inspirés, par des acteurs, sous la forme d’une lecture mise en espace avec les photos projetées, dans la cantine d’un centre social de Nancy. La comédienne Annie Mercier – qui avait déjà travaillé avec François Bon pour Vie de Myriam C – était à ce rendez-vous unique. Des larmes avaient coulé des deux côtés.

Aujourd’hui, dans le off d’Avignon, le metteur en scène Claude Baqué s’inspire de cette rencontre singulière pour faire entendre ces paroles d’exclus, sur scène cette fois, avec la même Annie Mercier et un jeune acteur, Thierry Mettetal.

Sur le plateau, deux chaises et un écran. La femme à la voix rauque parle, elle est la voix qui dit «il» devant les visages projetés (des hommes pour la plupart), entre distance et sympathie; comme si les souvenirs de ces existences croisées brièvement remontaient en elle peu à peu. Patrick, Pôm, le petit Lambert et celui à l’«œil blanc», une petite larme bleue tatouée juste en dessous pour en pleurer toujours la perte.

Souffrance calme. Par contraste, le jeune homme endosse le «Je», son ombre portée sur l’écran vide: le ton n’est ni théâtral, ni démonstratif, mais davantage impliqué, nourri de désespoir ou de cynisme, digne, le regard brillant d’une souffrance calme. Le crâne rasé, le corps vêtu de blanc, neutre, pour qu’il n’y ait rien d’autres que les mots. Elle est la narratrice toujours en scène, il apparaît par intermittence. Loin de tout réalisme, la mise en scène a su rester discrète. Un train traverse l’espace sonore, on songe à celui que François Bon a pris chaque jeudi en direction de Nancy pendant plusieurs mois et dont il a retracé le chemin dans Paysage fer (Verdier).

Dans leurs phrases scandées de «il dit», on retrouve aussi trace de ceux dont la mort a déclenché après coup J’écriture d’une pièce de théâtre, Bruit, bientôt créée par Tordjman à Nancy: la jeune femme qui avait un soleil dessiné sur la peau, retrouvée inerte au petit matin dans son sac de couchage et l’autre, l’homme qui a disparu dans les eaux en crue sans que personne ne sache si on l’avait poussé ou s’y était jeté. Au terme d’une heure de cette étrange traversée, une phrase résonne longtemps: «On ne sait plus dire, y compris pour soi-même autrement que on

Maïa Bouteillet – Libération – 26 juillet 2000

«Ce texte de François Bon est magnifiquement interprété. Le sujet sur les SDF est complètement sublimé et il y a une recherche très pure sur les lignes. J’ai été bouleversé par ce spectacle.»

Robin Frédéric – La Lettre du pectacle – 18 juillet 2000

« Quelle représentation possible de la misère sociale au théâtre qui évite le voyeurisme, le pathos ou la démonstration bien pensante ? La réponse est délicate et bien peu se risquent dans ce domaine. (…) À partir d’un travail de François Bon auprès des sans-abri à Nancy, Claude Baqué a composé un spectacle d’une égale intégrité morale. Trois comédiens, Annie Mercier, Thierry Mettetal et Claude Baqué lui-même, dont le jeu fuit tout pittoresque malsain, font entendre, par bribes, les paroles de ces « marginaux » dont les portraits par Jérôme Schlomoff sont projetés sur un écran. Le dispositif scénique, comme les lumières de Matthieu Ferry sont sobres et beaux, une exigence qui signifie ici respect pour ceux dont on rapporte la souffrance. En la matière la question des moyens est essentielle et si cet Abîme aujourd’hui la ville n’épuise évidemment pas le débat, il lui donne une réponse convaincante et digne. On touche-là, au-delà de la circonstance de destins détruits, à des vérités humaines dont le partage est universel. »   Voir l’article

Jean-Pierre Siméon – L’Humanité – 24 juillet 2000

LETTRES DE SPECTATEURS

Lettre d’un spectateur – du 25/07/2000

«J’espère que ces quelques lignes vous atteindront avant votre départ de la Cité du Théâtre, ou du moins qu’elles pourront vous être transmises.

Je voulais vous dire (et je n’ai pas le temps de «tourner» mes phrases) que c’est très important de faire du théâtre comme cela.

Et je ne veux pas disserter ici de la question: «est-ce du théâtre ou n’est-ce pas du théâtre?», comme je l’ai parfois entendu autour de votre spectacle. Cela n’a pas beaucoup d’importance, en comparaison du sens profond de ce que vous faites.

Le mot qui m’est venu spontanément vendredi soir est le mot «DIGNITÉ HUMAINE» (il y a deux mots en fait, mais qui n’en font peut-être qu’un).

Dignité de l’être humain respecté, écouté autant que faire se peut dans le cas de ceux à qui vous redonnez la parole, l’image et la vie.

Et dignité de l’équipe des gens de théâtre qui ont choisi de faire cela en dehors de tous les feux clinquants de la rampe et de toutes les vanités dont on sait bien qu’elles existent dans le monde du « spectacle».

Vous avez redonné de la dignité à tous ces comment les nommer, afin qu’il n’y ait pas une trace péjorative … S.D.F., sans-logis, vagabonds, perdus, cabossés de la vie, pauvres êtres… « nos frères humains», au sens de Villon, «nos frères et nos sœurs humains», nous tous, les êtres humains, et «eux» avec «nous». Vous les avez soudain rapprochés. Vous leur avez donné une existence. Vous les avez «fait exister» devant nous, oui. Ils sont venus nous faire une petite visite. On les oublie si souvent. C’est si facile de les oublier. On n’a pas le temps. On passe vite dans la rue, ou dans les lieux où ils sont.

On a même un peu peur. Et puis que leur dire ? C’est vrai, nous ne sommes pas des assistantes sociales, des éducateurs spécialisés, des petites sœurs des pauvres ! Et puis tout n’est pas rose, non plus, avec eux ! Alors on passe. On verra plus tard. Jamais.

Avec «abîme aujourd’hui la ville», vous nous dites : STOP! REGARDEZ, ÉCOUTEZ, OUVREZ VOTRE CŒUR ET VOTRE INTELLIGENCE ! Et vous le faites avec simplicité, humanité, tendresse. Ce n’est pas du charitable, du social, du politique, du philosophique, du théâtral «TAMBOUR BATI’ANT». Vous nous donnez à voir et à entendre leurs visages et leurs paroles, sans commenter, sans vous en mêler et je mets ici tout ensemble le travail étonnamment lié, homogène et «pur» de l’auteur, du photographe, du metteur en scène, des acteurs de votre équipe, et de tous les autres «techniciens» du spectacle. Oui, dignité de votre travail, en plein cœur du festival (604 spectacles dans le OFF cette année!), cette «grande foire du théâtre» où il faut jouer des coudes, faire un peu le bateleur et l’amuseur public pour attraper du spectateur. Je n’ai rien contre les spectacles «amusants» … mais c’est plus facile.

Vous, presque rien… la discrétion dans votre petite salle du «Chien qui fume» à 22h 15, une heure pour les déjà «fêtard» ou les fatigués de la Nuit, avec ces premiers visages et «la larme bleue» sur une joue… «lui, il dit» …

On se dit : «Mais comment ils vont faire ?» et puis les mots, les paroles, les récits viennent, portés très simplement et très fort à la fois par Annie MERCIER et Thierry MEITETAL et même leur troisième compère. Les photos des visages entrent en scène, grandes. Les lumières, les positions, les chaises changent créant une vraie «mise en scène» (mais au sens le plus profond du terme : une mise en scène, pour nous les spectateurs, de ces gens oubliés). Tous ces gens habituellement «invisibles» viennent nous rendre visite. Et tout cela a lieu dans un grand respect et une grande dignité, je répète encore le mot.

J’ai trouvé que le métier de théâtre était «beau» comme ça, en-dehors des «m’as-tu vu» habituels, dans cette simplicité et cet anonymat qui est le lot humain de la plupart d’entre nous, qui ne montons pas sur une estrade, et encore plus de tous ceux que vous avez fait «ré-exister» pour votre spectacle. Cela ressemblait à une vraie communauté de tous ceux qui font «leur métier de vivre» où qu’ils soient.

Merci.

François Giroud


Lettre de Claude Wolff du 29/07/00

«Les paroles s’en vont les écrits restent !

Je voulais vous dire l’émotion ressentie grâce à votre spectacle.

Ce Théâtre Témoignage, ces merveilleux visages, l’interprétation en font un des temps forts de ce Festival 2000.

J’aurais aimé, comme vous connaître ces êtres qui, grâce à vous, ne sont pas morts oubliés. Merci.»

Claude Wolff   [Comédien, puis co-directeur, avec Jacques Arbez, du Fichier Electronique des Comédiens, partenaire d’innombrables castings, il fut l’un des hommes de théâtre de son époque à qui les artistes sont le plus  redevables.]


Lettre de Pascal Lainé du 27/07/2000

«Il s’agissait de rendre leur nom et leur image à des gens que notre société a dépouillé même de cela.

Pas de médaille ni de pension pour ces grands mutilés de la paix et de la  »prospérité », mais du moins ce témoignage qui les sauve du néant en les portant sur la scène de la tragédie. Pas facUe de « dire » la misère sans tomber dans le pathos, l’obscénité des bons sentiments. Pas facile non plus de dire « bravo » et de louer la réussite « esthétique » d’une entreprise parfaitement maîtrisée (texte, comédiens, mise en scène).

Abîme aujourd’hui la Ville est du très bon théâtre, mais bien autre chose encore.

Merci de l’avoir fait.

Avec toute mon estime et mon amitié.»

Pascal Lainé (écrivain, dramaturge)