La Dame de la mer

Henrik Ibsen

La Dame de la mer de Henrik Ibsen

Traduction & mise en scène  Claude Baqué

Chants  Camille / Composition musicale  Clément Ducol

Création les 16 & 17 février 2012 à La Comète Scène Nationale de Châlons-en-Champagne

Représentations du 28 février au 17 mars 2012 au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris

avec Camille, Marion Bottollier, Ophélie Clavié, Didier Flamand, Nicolas martel, Nicolas Maury, Nicolas Struve

musiciens Maxime DuhemÉmilie Counil, Julie Moreau

assistante mise en scène Isabelle Antoine / scénographie/lumières Matthieu Ferry / costumes Xavier Ronze / réalisation sonore François Olivier / accessoires Sophie Musil / maquilleuse-coiffeuse Kolair Salinas / presse Rémi Fort

Producteur délégué : CICT – Les Bouffes du Nord / Direction Olivier Mantei  Olivier Poubelle / Responsable production – diffusion Marko Rankov / Administratrices de production Marion Bois  Mara Patrie

Coproductions :  Acte2Deux / La Comète Scène Nationale de Châlons-en-Champagne / Théâtre Forum Meyrin

Avec le soutien de la SPEDIDAM et de la DRAC Île de France / Avec la participation artistique de l’ENSATT

Tournée :  Le 20 mars 2012 au Théâtre Simone Signoret à Conflans Sainte Honorine / Le 22 mars au Théâtre des Jacobins à Dinan / Le 24 mars au Théâtres en Dracénie à Draguignan / Le 26 mars au Théâtre de l’Olivier à Istres / Le 28 mars au Théâtre Jean Vilar à Bourgoin Jallieu / Le 30 mars au Théâtre de Chelles 

Le Chant d'Ellida

par Camille / composition musicale Clément Ducol | Maxime Duhem (tuba) Émilie Counil (cor), Julie MoreauTuba (Cor)

Note de mise en scène

 On distingue d’ordinaire trois moments dans l’œuvre de Henrik Ibsen : ce qu’on appelle ses « pièces de jeunesse » (dont quelques chefs d’œuvres encore jamais représentés en France !) ; les trois grandes pièces du milieu de sa vie (BrandPeer Gynt et Empereur et Galiléen) ; et enfin, ce qu’on appelle « Les drames modernes », ce vaste massif de douze pièces, qu’il écrivit au rythme d’une tous les deux ans, entre 1877 et 1899. La Dame de la Mer, achevée en 1888, s’inscrit dans ce dernier ensemble, entre Rosmersholm et Hedda Gabler.

Or, la plupart des pièces de cette période ont en commun de finir par la mort des principaux protagonistes. Rebekka et Rosmer se jettent dans le torrent du moulin. Hedda et Løvborg se tirent une balle dans la tête. Solness chute du haut de sa tour. Et tant d’autres… À ce titre, La Dame de la mer fait exception. Et la chose fait débat. On s’entend à reconnaître que c’est une pièce magnifique, mais (car il y a un mais…) dont la fin ne serait pas « convaincante ». L’auteur aurait commis une sorte de happy end, qui ne passe pas. Le plus souvent, les arguments sont extérieurs à la pièce elle-même. Cette « fin heureuse » viendrait contrarier le pessimisme d’un Ibsen prophète des désastres du siècle à venir. Ou bien, elle serait un retour à l’ordre bourgeois (la Nora de Maison de Poupée qui rentre au bercail !). Susan Sontag, en introduction à son « rewriting » de La Dame de la mer, affirme quant à elle que cette fin serait une faute dramaturgique.

Dans cette polémique, nous prendrons le parti du texte. Notre mise en scène se propose de faire mentir ceux qui souhaiteraient donner des leçons de théâtre à Ibsen, comme on donnerait des leçons de musique à Schubert. Pas seulement parce que ça ne se fait pas, mais parce qu’ils se trompent. Cette fin qui fait débat est non seulement « possible », mais « nécessaire ». Et elle engage le sens même de la pièce.

Mais de quoi s’agit-il ? D’une jeune femme, mariée avec un homme plus âgé, auquel elle se refuse depuis qu’ils ont perdu un enfant en bas âge, et qui est envahie par une étrange mélancolie, une « irrésistible nostalgie de la mer ». Elle a des visions. À tout moment apparaît devant elle, « en chair et en os », un marin avec qui elle s’est autrefois fiancée et qui a les mêmes yeux bleus que l’enfant mort. Un homme arrive soudain, un « Étranger ». C’est lui. Il lui rappelle qu’il avait promis de revenir la chercher. À la fois effrayée et attirée par cet homme, elle demande à son mari de la protéger. L’Étranger se retire, en lui disant de se tenir prête pour le lendemain. Elle accuse alors son mari de l’avoir « achetée », et lui demande de la laisser partir avec le marin. Lorsque celui-ci revient, le mari décide de la laisser libre. Elle choisit finalement de rester et l’homme disparaît.

C’est cette fin, qui est contestée. Sur la forme comme sur le fond. Un oui à l’un, qui est un non à l’autre, et la pièce « se retourne », en effet. Mais ce « retournement » doit être entendu à son sens le plus haut. C’est un évènement. Qui annule tout ce qui l’a précédé. 

Ellida était inscrite dans une histoire qui n’était pas la sienne. Son père, gardien de phare, l’avait baptisée d’un nom de bateau, une sorte de « vaisseau fantôme » tiré d’une vieille saga islandaise. Plus tard, les gens de la ville l’ont appelée « La Dame de la mer », parce qu’elle se plongeait chaque jour dans l’eau, quel que soit le temps. Et les artistes rêvaient de la sculpter en femme de marin ou de la peindre nue échouée sur un rocher. Tout semblait la vouer à ce « destin de sirène ». Or, son choix vient effacer d’un coup ce qui semblait écrit d’avance. Si leurs histoires se ressemblent étrangement, Ellida n’est pas la Senta du Vaisseau fantôme de Wagner, qui obéit à sa destinée et finit par se jeter à l’eau. Lorsque son marin revient, Ellida aussi est prête à faire le grand saut. Elle est bord de l’abîme. Et Wangel ne la retient pas. Il la laisse libre de son choix. C’est alors que la « métamorphose » a lieu.

Chant de la vision d'Ellida

par Camille / composition musicale Clément Ducol | Maxime Duhem (tuba) Émilie Counil (cor), Julie MoreauTuba (Cor)

On peut comparer cette volte-face à ce coup de génie des marins portugais, qui firent le pari, au péril de leur vie, et contre toute logique, qu’en s’abandonnant aux vents dominants, ils allaient rencontrer, au cœur de l’océan, les vents contraires, les alizés, en ce point de « retournement » que l’on a appelé la volta do mar. Ils se sont « fiancés aux vents », et ils ont découvert l’Amérique. Le continent qu’Ellida découvre à son tour, à l’instant même où, libérée, elle décide de rester, n’est rien moins que son propre désir. Mais elle aura gagné les rivages de ce « nouveau monde » au prix d’une périlleuse traversée. Notre mis en scène sera le récit de ce voyage.

Comme toutes les grandes figures féminines d’Ibsen, Ellida est une « femme sous influence ». Mais, contrairement à la Rebekka de Rosmersholm, ou à Hedda Gabler, elle se libère. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que la cage dont elle s’évade n’est pas celle qu’on aurait pu imaginer. Contrairement à Nora, c’est d’elle-même, qu’elle se libère. Et par la parole. C’est d’avoir eu le courage de nommer son emprise, qu’elle finira par s’en délivrer. D’où l’étrange écho que ce personnage devrait, aujourd’hui, rencontrer.

Lorsque j’ai proposé à Camille d’interpréter le personnage d’Ellida, elle m’a répondu qu’elle se sentait si proche de cette « Dame de la mer », qu’elle aurait pu aussi bien la chanter. Je me demandais alors comment donner corps, dans la mise en scène, à cette fusion du personnage avec la mer, à cette nostalgie, à cette douleur. Et il m’est apparu que le chant pouvait être ce « corps des larmes » d’Ellida, la musique étant un autre nom de la mer elle-même.

Nous avons alors convenu d’introduire ces plages de chants, qui interviennent à ces moments précis où Ellida s’évade vers sa « mer intérieure ». Le temps théâtral y est comme suspendu. Elle laisse alors venir ce qui monte en elle, ce qui fait retour comme ce qui veut naître en elle. Des moments d’invention, de pure création, voir d’improvisation qui, du cœur de la tempête, préfigurent en quelque sorte la « métamorphose » finale : la sirène (re)devenue femme.

Claude Baqué – Novembre 2011

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Presse / La Dame de la mer / Henrik Ibsen

Extraits de presse

Longue robe rouge, cheveux en natte, Camille joue le rôle principal de cette pièce du norvégien Ibsen : Ellida, une femme mariée hantée par son premier amour, un marin « qui l’attire et l’effraie » et revient la chercher. Elle va choisir, « de son plein gré », entre son mari (Didier Flamand) et cet « étranger » (Nicolas Martel), son ancien professeur, ses deux belles-filles, un artiste souffreteux (surprenant Nicolas Maury) vont aussi trouver leur destin. Une superbe mise en scène, signée Claude Baqué, avec reflets sur le bassin et mur d’eau, porte la pièce et son héroïne.

Thierry Dague / Le Parisien

Rendons grâce à Claude Baqué de s’être attelé à la double tâche de (re)traduire cette pièce et de la monter pour nous donner à entendre le bouillonnement intérieur de la langue d’Ibsen, son à-propos et sa pertinence qui font du personnage féminin la figure centrale de ce drame. (…) Claude Baqué emporte le spectateur jusqu’au bout de cette aventure où l’intrigue se joue les pieds dans l’eau, physiquement. Le plateau n’est rien d’autre qu’un bassin où se meuvent les personnages dans un clapotis permanent, imprimant une musicalité étrange, qui amortit les déplacements et fait résonner étrangement les voix des acteurs. On se laisse bercer par les lignes mélodiques surgies de l’eau, les passages, remarquablement chantés dans la langue d’Ibsen par Camille qui, dans sa robe de sirène carmin, incarne le personnage encore de manière inégale mais qui ne laisse personne indifférent tant elle fait de sa fragilité un atout. Matthieu Ferry a imaginé une scénographie et des lumières qui épousent à la perfection les mouvements des voix et des corps, propulsant le spectateur dans un ailleurs, dessinant une cartographie imaginaire des sentiments plus que séduisante. La direction d’acteurs ne cède en rien à la facilité, chacun restant sur le fil d’une parole murmurée, retenue.  (…) Ce qui est magnifique chez Ibsen, c’est la capacité de ses personnages à parler vrai, à refuser les mensonges et les compromis. Nous ne sommes pas dans le grand déballage ni la foire fouille des sentiments mais dans le questionnement de la nature même de ces sentiments. Une espèce de droiture étonnante qui dit les maux sans violence, qui avance sans faux-semblants. Et la modernité d’Ibsen n’en est que plus éclatante?: le combat de son héroïne consiste à gagner sa liberté. Une liberté nécessaire pour, alors, choisir?: rester ou partir, rejoindre son ancien amant ou retrouver son mari. La Nora de La Maison de poupée choisit de partir?; son Ellida, ici, choisit de rester. Mais en toute conscience. Et cette fin, qui pourrait être contestée à maints égards, est tout simplement magnifique, hissant le personnage au rang d’héroïne des tragédies grecques.

Marie-José Sirach / L’Humanité

Dans sa robe rouge sombre, puis orangée, elle arpente l’eau salée, s’arrête les bras levés, puis entonne un drôle de chant nordique… Camille joue les sirènes et les marins d’eau douce du public des Bouffes du Nord sont hypnotisés. Jolie idée que de confier le rôle d’Ellida, la « Dame de la mer » d’Ibsen » à la chanteuse aventurière. Avec finesse, elle remplit les mystères et les  non-dits du texte de ses courts intermèdes cuivrés (deux cors et un tuba) ou chantés. Pare la prose d’Ibsen de jolies écharpes musicales.

Philippe Chevilley / Les Échos

Ce spectacle réussi tresse douceur et angoisse, charme comme une marée émotionnelle. Classique et sobre, la mise en scène de Claude Baqué puise son éclat dans un décor sombre mais enluminé d’ondes, de reflets aquatiques et d’envolées musicales qui sont évidemment portées par la voix de Camile et joliment enlacées à deux cors et un tuba.

Alexis Campion / Le JDD

L’attachante chanteuse de « ta douleur » fait ses débuts de sirène au théâtre, sertie dans une mise en scène d’une grande beauté visuelle. (…) Claude Debussy aurait pu mettre en musique cette « Dame de la mer » du moins telle que montée par Claude Baqué dans une superbe atmosphère de songe. Au sol : de l’eau noire, où marchent les personnages ; au fond, un ciel de nuages ; et un rideau de pluie, soudain, derrière lequel apparaît un marin étranger. La musique ? Camille la signe, avec cors et tuba, échos lointains. Et elle joue Ellida, telle une fine sirène égarée sur terre. Jolie silhouette, soulignée par une longue robe rouge, toute simple. Gestuelle étrange, sans aucun naturalisme, bras tendus vers le ciel, belle présence, ferme et gracieuse. (…) Visuellement, le spectacle est très beau. Claude Baqué sait colorer certaines scènes d’une acide tonalité de comédie. Un instant magnifique, et soudain on pense à Edvard Münch, puisqu’il s’agit d’un long cri, profond, superbe, de Camille/Ellida.

Odile Quirot / Le Nouvel Observateur

Comme souvent chez Ibsen, le passé remonte par touches successives, comme des vagues. Face à Didier Flamand (Wangel), la chanteuse Camille interprète cette héroïne envoûtée avec une retenue toute simple. Droite, souvent immobile, elle semble flotter à la lisière de deux mondes. Parfois elle chante d’une voix qui ajoute encore à l’étrangeté du personnage. La mise en scène de Claude Baqué installe une atmosphère oppressante où percent des lueurs enjouées ; comme un ciel nuageux troué d’éclaircies, présage d’une libération possible.

Hugues Le Tanneur / Les Inrockuptibles

L’eau sur scène créée une sorte d’isolement des personnages dont on ressent profondément les insatisfactions et angoisses à voir leurs rêves leur échapper. C’est beau, émouvant et on se laisse porter grâce aux comédiens. A noter l’interprétation remarquable de Marion Bottollier dans le rôle de Bolette.

Hélène Chevrier / Théâtrales Magazine

Sous la voûte scénique des Bouffes du Nord, écrin sublime propice à toutes les rêveries, le metteur en scène Claude Baqué a dirigé ses comédiens les pieds dans l’eau. Comme si cette mer qui aimante Ellida venait se répandre jusque dans l’intimité de sa demeure. Ce tapis d’eau qui fait danser les lumières sur les murs du théâtre et réverbère les voix, crée une atmosphère visuelle et une ambiance sonore presque irréelle, contrastant avec les dialogues naturalistes de la pièce. Seul inconvénient, le son se perd un peu et certains mots s’évaporent sans que l’on puisse les capter. Mais c’est esthétiquement sublime et Claude Baqué évite ainsi le décor d’intérieur bourgeois plombant et redondant souvent utilisé dans les mises en scène d’Ibsen. Dans cette scénographie épurée et onirique où chaque élément (décor, lumières, costumes) s’assemble pour composer une succession de tableaux symbolistes, la pièce libère toute son aura poétique et sa dimension de fable. Les parenthèses de chant (que ce soit à capella, soutenu par trois cuivres ou par l’eau qui devient instrument de percussion), en norvégien (langue maternelle de l’auteur), se distillent au compte-goutte, jamais intrusives ou en surcharge. La voix de Camille y est d’une clarté inouïe, cristalline et profonde, d’une texture qui semble marier le ciel et la mer. Unique. Quant au reste de la distribution, comme si les mélopées de la dame de la mer irriguaient leur être, leur phrasé se fait mélodique et rythmique. Musical. Mention spéciale à Nicolas Maury, en équilibre subtil entre comique et tragique, et à Nicolas Martel, apparition charnelle et fantomatique. « La Dame de la mer » est une pièce au scénario saisissant par ses motifs, ses enjeux, sa chute renversante. Claude Baqué en fait un spectacle dense et précis, à l’étrangeté envoûtante. Magnifique.

Marie Plantin / Pariscope

La belle idée de Claude Baqué qui signe la mise en scène et la nouvelle traduction de la pièce est d’avoir demandé à la chanteuse Camille d’incarner le rôle d’Ellida pour faire ainsi en sorte que son personnage demeure à jamais insoluble au milieu de sa belle troupe d’acteurs. Ibsen fait ici s’entrechoquer deux mondes, celui du conte fantastique et celui du drame bourgeois réaliste. Mais on laissera au spectateur la joie de découvrir lequel des deux univers sort vainqueur de l’épreuve. Ainsi les chants chamaniques interprétés par Camille ne vont-ils cesser de perturber la quiétude de cette maisonnée où nul n’ose se confronter à la folie de vivre. Climax de ce bras de fer entre la bienséance bourgeoise et le désir d’onirisme : le retour de l’amant terrible, un moment d’exception où la mer entière semble envahir les murs du théâtre des Bouffes du Nord pour tenter, en se retirant, d’emporter la belle Ellida vers le grand large. La découverte d’une pièce rare d’Ibsen et d’une Camille impériale en égérie tourmentée aussi irrésistiblement belle que folle à lier.

Patrick Sourd / Even.fr

Épaulé par le scénographe Matthieu Ferry, Claude Baqué a mis en place un univers où l’eau est omniprésente. Elle recouvre le plateau, accompagne de son clapotis chaque déplacement des comédiens et reflète implacablement tous leurs tourments. Elle s’infiltre, remonte le long des costumes, comme si elle absorbait les personnages, les alourdissait lentement pour mieux les avaler. Vient s’y ajouter, lors des apparitions de l’étranger un rideau de pluie : il émerge de l’eau tempête, semblant appartenir corps et âme à cet élément. C’est  grand, beau, impressionnant.

Delphine Kilhoffer. Rhinoceros.eu

Question scénographie, Mathieu Ferry a vu les choses en grand. Au sol, un immense bac d’eau noir pour la scène, qui fait écho à un immense fond blanc sur lequel l’eau vient parfois se refléter, agrémentés d’un brouillard intermittent. Pour seuls éléments de décors, une table basse et des bancs en bois, portés par les comédiens au début et retirés à la fin, pour laisser la place uniquement à cette fameuse décision finale la disparition du marin, dans le néant de la mer. D’ailleurs, celui-ci apparaît et disparaît de la même façon, sous une cascade surprenante d’eau, représentant les flots de la mer. Le noir et blanc est à l’honneur. Comme annonçant par avance toute la douleur du choix. Ou pour placer l’héroïne entre la vie et la mort, entre la prison et la liberté. Tous les personnages arborent ces couleurs sauf Ellida, teintée du rouge de la vie et du sang, et le sculpteur malade, en jaune couleur de la maladie et de l’arlequin, car il est celui qui teint d’humour ce drame. En fond, les sons dissonants et sombres des cors plongent nos oreilles dans la tragédie en marche, aidés par la très bonne accoustique offerte par le lieu. D’ailleurs, tout semble sombre, même les lumières, qui se concentrent parfois sur Ellida, alias Camille, redevenue chanteuse, lorsqu’elle envahit l’air de sa douce voix aux modulations aériennes et maîtrisées, en norvégien, accompagnée par les cuivres, qui apparaissent, un temps, sur scène. Ce sont d’ailleurs ces moments épars dans le spectacle qui sont, à mon sens, les plus poétiques, les plus beaux, et qui forment un bel hommage à cette magnifique oeuvre d’Ibsen.

Rachelle Dhéry / Un Fauteuil pour l’orchestre.com

Marion Bottollier (Bolette) est délicieuse de grâce et d’ambition souriante et têtue. Ophélie Clavie (Hild) incarne la jeunesse effrontée. Nicolas Struve est excellent dans le rôle inattendu de l’amoureux, maladroit aux jeux de la séduction mais doué dans l’art de convaincre. Quant à Nicolas Maury, il est très drôle en sculpteur éthéré en quête de création, malheureuse proie des moqueries de Hilde.

Corinne Denailles / Webthea.com

La mise en scène de Claude Baque à qui l’on doit aussi la traduction, puise son originalité dans une scénographie inattendue, un dispositif aquatique qui était peut-être une bonne idée mais qui freine considérablement les comédiens dans leurs déplacements et finit par nuire à une fluidité de l’ensemble. La présentation est contrastée et multiplie les ruptures de ton bienvenues, que l’on doit au jeu inspiré de certains comédiens, à des fulgurances adroitement décalées, comme la scène de la demande en mariage à Bolette par le professeur Amholm, à la présence nonchalante et irrésistible de Nicolas Maury dans le rôle de l’aspirant artiste, Lyngstrand.

Francis Dubois / Snes.edu

Superbe. La saison culturelle dinannaise avait pris le risque de programmer l’adaptation de la pièce d’Ibsen. Tout concourt à magnifier cette « Dame de la mer », écrite à la fin du XIX e siècle, aux prémisses des bouleversements de la condition des femmes. Les comédiens y sont excellents, Marion Bottolier joue divinement Bolette. Camille a quitté, pour un temps, ses concerts pour ses premiers pas au théâtre. Quand elle psalmodie des complaintes nordiques, on est chamboulé. Un bravo tout particulier aux éclairagistes qui ont réussi la prouesse de reproduire sur scène les lumières blafardes des jours sans fin de la Norvège.

Ouest-France

Proposer le rôle d’Ellida à la chanteuse Camille est la première audace de Claude Baqué : pour interpréter le rôle de “La dame de la mer” de Henrik Ibsen, le metteur en scène a pensé à cette artiste qui alterne chant et texte, avec beaucoup de conviction. La voix de la chanteuse est captivante et singulière, les chants en norvégien d’une beauté unique. La seconde audace du spectacle est sa scénographie : les comédiens jouent dans un bassin d’eau ! Le travail de Mathieu Ferry à la lumière et à la mise en espace est vraiment en harmonie avec ce texte puissant, néanmoins accessible et non dénué d’humour. « Ellida vient du peuple de la mer… Il y a un ondoiement de leurs pensées et de leurs sentiments », explique le mari d’Ellida pour évoquer les fantômes qui la hantent. La langue d’Ibsen convoque les éléments ; il est question de tempête d’équinoxe, de fjords, d’étang aux carpes ou de soleil de minuit… Chaque comédien joue juste, mettant particulièrement en valeur le beau texte. Du théâtre exigeant qui ne laisse pas indifférent, d’autant que les thèmes chers à Ibsen gardent une modernité étonnante.

Le Dauphiné Libéré

Nicolas Martel / Camille

« L’attachante chanteuse de « Ta douleur » fait ses débuts de sirène au théâtre, sertie dans une mise en scène d’une grande beauté visuelle… Claude Debussy aurait pu mettre en musique cette « Dame de la mer » du moins telle que montée par Claude Baqué dans une superbe atmosphère de songe. Au sol : de l’eau noire, où marchent les personnages ; au fond, un ciel de nuages ; et un rideau de pluie, soudain, derrière lequel apparaît un marin étranger. La musique ? Camille la signe, avec cors et tuba, échos lointains. Et elle joue Ellida, telle une fine sirène égarée sur terre. Jolie silhouette, soulignée par une longue robe rouge, toute simple. Gestuelle étrange, sans aucun naturalisme, bras tendus vers le ciel, belle présence, ferme et gracieuse… Visuellement, le spectacle est très beau. Claude Baqué sait colorer certaines scènes d’une acide tonalité de comédie. Un instant magnifique, et soudain on pense à Edvard Münch, puisqu’il s’agit d’un long cri, profond, superbe, de Camille/Ellida. »

Odile Quirot / Le Nouvel Observateur

Autour de La Dame de la mer / Henrik Ibsen