Intervention de Françoise Decant

 

Débat 10 mars 2012

Intervention de Françoise Decant

 

 

Alors Ibsen… je suis « tombée » dedans, c’est bien le mot, au sortir d’une représentation théâtrale en 1999 de Hedda Gabler, mise en scène par Gloria Paris.

A l’issue de la représentation, une certitude s’est imposée à moi, il fallait que j’écrive quelque chose sur cette pièce. La magie avait opéré. Un article a vu le jour, puis d’autres et enfin un livre. Entre temps, j’avais dévoré presque toute l’œuvre d’Ibsen.

Comment Ibsen avait-il pu mettre à jour la complexité du fonctionnement du psychisme humain alors que la psychanalyse en était à ses balbutiements, montrant bien par là que l’artiste précède le psychanalyste, comme nous l’a enseigné Freud et sur ses pas, Jacques Lacan.

On a souvent dit du théâtre d’Ibsen qu’il livrait l’inconscient à ciel ouvert et Jean louis Barrault avait qualifié le dramaturge norvégien de « Freud du théâtre ».

Sans vouloir développer- je fais une petite parenthèse- je tiens à préciser que c’est la présence du psychanalyste qui permet au savoir refoulé d’être élevé au statut de savoir inconscient grâce au transfert.

Pour revenir au rapprochement entre le théâtre et la psychanalyse, celui-ci nous invite à nous pencher sur ce qui est donné à voir et à entendre sur la scène théâtrale. La question se pose alors de savoir si le théâtre serait le lieu où la psychanalyse pourrait approcher ce qui dans la clinique ne cesse de nous échapper. Cette question est celle que Jean-Michel Vives avait hardiment lancée un jour à l’adresse des psychanalystes.

L’œuvre d’Ibsen me semble un terrain favorable pour tenter d’approcher, je dis bien approcher cette question.

Ceux qui ont eu l’occasion de lire les textes d’Ibsen, je précise « lire » ont dû remarquer que de nombreux points de suspension, de nombreux blancs, émaillaient le texte et on peut penser qu’un désir caché, voilé, refoulé se dissimule derrière ces blancs.

Mais Ibsen nous enseigne également avec talent et c’est là tout l’intérêt de « La Dame de la mer » que tout ne peut se dire, ni s’écrire, d’où la tentative de représenter sur scène cette chose opaque et obsédante qui nous habite, que Jean Cocteau appelle l’inconnu dans l’hommage qu’il rend à Ibsen en 1960.

Cet hommage s’intitule :

A cheval sur le réel et le rêve

« Ibsen. Il est difficile de tenir entre nos mains cette neige sombre et comme éclairée par le soleil noir de la mélancolie de Durer.

Un schizophrène habite tous les artistes. Beaucoup en éprouvent de la honte et le cachent. D’autres ne sont que sa main-d’œuvre. D’autres collaborent avec lui. Sans ce fou mêlé à nos ténèbres intimes, une œuvre de poète ne serait rien.

Chez Ibsen, la permanence d’un tel fantôme ressemble à cette fausse nuit nordique où baignent les pièces de Strinberg.

L’admirable d’Ibsen, c’est la force avec laquelle il brave l’hôte inconnu. »

Braver l’inconnu qui est en nous, voila la tache à laquelle s’est attaqué Ibsen par la bouche d’Ellida. Ce n’est certes pas une tâche facile car nous touchons là au domaine de ce qui ne peut se dire. Or, c’est tout à fait passionnant de suivre l’énorme effort que fait Wangel pour soutenir sa femme dans son besoin de dire.

Cette invitation à parler, à dire, va permettre à Ellida de faire ce que j’appellerai un cheminement psychique pour tenter de cerner « la chose » qui l’habite. Si cette pièce, « La Dame de la mer » est si compliquée, c’est parce que cette chose va apparaître tour à tour sous différents éclairages, tous plus énigmatiques les uns que les autres.

Ca commence, vous l’avez compris, par la fascination de la mer, d’où le nom donné à Ellida.

 

La fascination de la mer

Pragmatique, le Dr wangel propose à sa femme de déménager, pour la guérir de ce que Sandor Ferenczi, psychanalyste hongrois disciple de Freud qui s’est beaucoupp intéressé à l’œuvre d’Ibsen avait appelé une « monomanie ».

Mais la dame de la mer refuse de déménager, d’aller vivre au bord de la mer. Son mari va alors l’inviter à nouveau à dire, lui permettant d’évoquer l’histoire de ce marin, histoire dont les contours sont dessinés par le souffreteux Lyngstrand interprété de façon géniale par Nicolas Maury. J’ai dit « dessiné », mais comme l’a fait remarquer Claude à Laure Adler sur France Inter, c’est une sculpture que Lyngstrand projette de faire. En disant ceci, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec le travail de sculpteur de Rubeck, le poète que grave ses mots dans la pierre dans la dernière pièce d’Ibsen « Quand nous nous réveillerons d’entre les morts », pièce majeure d’Ibsen que Jean-Pierre Sarazac connaît également très bien.

C’est tout à fait intéressant de voir comment de petits détails sont en fait des indices de germination de la création d’une œuvre future chez Ibsen, qui, je le rappelle insistait pour que son œuvre soit considérée comme un tout.

Serez-vous surpris d’apprendre que le titre de la pièce que Claude Baqué a montée avait été annoncé par Ibsen quelques trente ans plus tôt sous forme d’une hallucination dans le grand poème lyrique Peer Gynt, lorsque le héros, Peer, croit voir figurée une dame de la mer sur le fronton de la cabane où se trouve Solveig, l’objet incestueux, au moment précisément où l’angoisse l’envahit.

Mais revenons à Wangel, ce mari à l’écoute de sa femme qui est toutes ouïes dehors, pour rester dans la terminologie maritime…

 

L’innommable

Wangel aimerait bien balayer d’un revers de manche l’histoire à dormir debout de ce marin, car il voit bien qu’il y a « autre chose » et comprend que la cure de parole ne marche pas plus que la proposition de cure maritime. Mais que peut -il faire autrement si ce n’est l’inviter à dire, encore et encore, lui permettre d’aller encore un peu plus loin ? Pourquoi n’a-t-elle pu se confier avant ? Qu’est ce qui l’en empêchait ? La réponse d’Ellida est alors la suivante: « «Si je m’étais confiée à toi, alors il aurait fallu que je te confie aussi le —». Ellida marque une pause traduite dans le texte par ce tiret: l’indicible.

Claude Baqué, qui traduit toutes les pièces qu’il monte, a traduit « l’indicible » par « l’innommable », qui serait effectivement au plus prêt de l’impossibilité de nommer la chose. La chose que Freud a appelé « Das Ding ».

Permettez moi de vous lire la traduction de Claude Baqué : « Si j’avais du te confier cette chose là,- j’aurai dû te confier aussi— tiret, l’innommable. »

Je précise que ce n’est pas l’aveu de son amour pour le marin qui est en jeu ici, mais l’énigme des yeux de l’enfant décédé, ces yeux qui changeaient de couleur selon les flots, mais que seule Ellida voyait, pas le mari… Non pas que les maris soient aveugles, non, mais parce que, me semble -t-il, ce mystère, révélé à Ellida et à elle seule fait plutôt penser à quelque chose du coté de l’hallucination, qu’on va retrouver plus loin avec les yeux du marin qui la terrorisent,et l’épingle de cravate qui ressemble à un œil mort qui la regarde.

Pour revenir à « la Chose », Marie Vanderbusch, qui a organisé ce débat, m’a posé deux questions à l’issue de la première, que j’ai trouvées intéressantes. Elle m’a demandé si Ibsen, dans la version originale avait bien parlé, lui, de la Chose. « La chose », dette figure bien dans le texte original, mais elle est passée à la trappe dans la traduction de Terje Sinding dans la collection « Le spectateur français ». Je suppose que bien d’autres choses sont passées à la trappe mais Claude Baqué nous en dira peut -être quelque chose après. Ce n’est certes pas un hasard s’il fait tout ce travail de traduction avant de monter ses pièces.

Pour revenir aux questions de Marie, elle m’a aussi questionnée sur l’articulation entre la chose, le Réel et le marin…

 

Le Réel

Bref, elle est tombée en plein dans le mille… Je vais essayer de donner des éléments de réponse, sachant que le Réel, tel que je l’entends, est un concept qui a été introduit par Lacan, et qui ne peut se définir que par rapport aux deux autres instances psychiques, l’imaginaire et le symbolique. Pour faire vite, le Réel est déjà là avant l’avènement du sujet de l’inconscient. Ordinairement, c’est à la mère qu’il convient de l’incarner, car ça concerne à la fois l’énigme du désir de la mère, le « Que me veut-elle ?, le Che Vuoi ? » et la réponse de l’enfant, en lien avec la castration maternelle, inscrite du coté de la jouissance, de la pulsion, jouissance en excès qui va être rejetée, refoulée lors du refoulement originaire. Le père, lui, est du côté de l’intervention symbolique, son rôle n’est pas d’interdire, comme on le pense souvent, en réduisant les pères au rôle de pères fouettards, mais plutôt d’unir le désir à la loi

Après ces quelques précisions, revenons à Wangel et à sa propre conception du réel.

Pour Wangel, le réel, c’est l’arrivée, je dirai physique, concrète, en chair et en os du marin. Wangel pense que cette intrusion de la réalité (je crois que ce sont ces termes) va permettre à Ellida de balayer ses pensées morbides. Un peu comme s’il lui disait : « Maintenant que tu l’as revu, tu vas t’arrêter de fantasmer sur lui… »

Mais on voit bien qu’il se trompe et que les choses sont plus compliquées car d’une part, on touche là à la complexité de la question du désir,-je pense que Sylviane Agazinski va nous en dire quelque chose-et que d’autre part, Wangel se méprend sur la place que ce personnage peut occuper dans l’économie psychique de sa femme.

Le nouage du sexuel au réel de la mort.

Dans ce très beau texte d’une saisissante sensualité, Ibsen va nouer le sexuel au réel de la mort, et ce nœud, c’est un marin qui va s’en faire le représentant.

La mer, l’une des figures de la mère empruntée au symbolisme, est cet étrange objet de fascination mortifère.

Ellida ne comprend pas plus que son mari, le Dr Wangel, pourquoi elle est attirée par la mer, mais, grâce à lui, qui l’invite à dire, elle va tenter de mettre des mots sur ce qui ne cesse de l’envahir: «Nuit et jour, hiver comme été, elle me submerge, cette vertigineuse nostalgie de la mer». Lorsqu’elle écarte l’idée d’aller vivre au bord de la mer, car, dit-elle, «y’e le sens, même là-bas, je ne pourrai m’en débarrasser», son mari lui demande, étonné: «De quoi parles-tu?» Ellida lui fait cette réponse: «De l’effroyable, de ce pouvoir incompréhensible sur mon esprit».

Wangel est dérouté. Que veut-t-elle dire? Les paroles de sa femme résonnent de façon tellement énigmatique! Mais comment pourrait-il en être autrement au moment même où Ellida tisse quelque chose entre l’effroyable, son attirance pour la mer, et la peur de cet homme qu’elle a aimé…Elle précise: «Une peur si effroyable comme seule la mer peut en inspirer… ». Wangel réalise pourquoi sa femme se refusait à lui et ne voulait pas vivre avec lui «comme sa femme». Est-ce parce qu’il a repéré le caractère sexuel de cette attirance pour la mer?

Mais en même temps, lorsqu’il veut à tout prix la protéger, Ellida s’offusque.

«Me protéger? Contre quoi? Je ne suis menacée par aucune violence, par aucune puissance extérieure. L’effroyable, c’est plus profond, Wangel! L’effroyable c’est l’attirance qui est au fond de mon âme. Que peux-tu faire contre elle?»

Et lorsque le marin, qu’Ibsen nomme dans son texte « l’Etranger » avec un M majuscule, revient pour la deuxième fois chercher Ellida, et que son mari tente de la retenir, elle lui dit: «Tu peux me retenir, mais mon âme, mes pensées, mes envies et mes désirs eux, tu ne pourras pas les enfermer. Ils continueront à s’envoler vers l’inconnu.»

Et là où les critiques ont vu un discours en faveur de l’émancipation féminine, Ibsen, dans une formule concise, épingle le réel du côté de l’impossible.

Wangel — «Ce désir du sans fin, du sans bornes, ce désir de l’impossible, il précipitera ton âme dans les ténèbres de la nuit.»

L’histoire se déroule en Norvège, dans «le pays où le monde entier passe pour aller contempler le soleil de minuit». Nous sommes en 1888. Si Freud a déjà

rencontré Charcot et Breuer, il a à peine commencé à écrire. La psychanalyse en est à ses balbutiements. D’ailleurs, c’est du théâtre, rien que du théâtre… Où pourtant chaque mot compte.

 

L’Etranger

Ce marin, l’Etranger, comme le nomme si bien Ibsen, n’incarne-t-il pas parfaitement l’une de ces «doublures errantes qui réclament leur dû» pour reprendre l’expression de Gérard Pommier dans son livre sur le Réel?1

Lorsqu’il vient chercher Ellida, faisant fi du temps qui s’est écoulé et du mari, montrant que rien ne peut l’arrêter dans sa détermination, il lui dit tout simplement: «Me voilà, suis-moi!» Son apparition brutale, aussi violente que les flots tumultueux qui étaient censés l’avoir englouti, signe le retour du déchaînement de la jouissance pulsionnelle.

En le voyant, Ellida est prise d’effroi: «Les yeux, les yeux… Ne me regardez pas ainsi!»

Mais l’apparition du marin n’est pas seulement liée au retour du pulsionnel. En effet, par le biais de la couleur des yeux de l’enfant attendu par Ellida, cet enfant décédé, la Dame de la mer aménage ainsi à ce marin une place de père, puisque l’enfant avait les yeux du marin.

C’est un bien savant ouvrage que nous propose Ibsen. Il s’y connaissait en nœuds… marins ou pas! C’est pourquoi j’ai intitulé mon livre « L’écriture chez Henrik Ibsen : un savant nouage ».

Le marin est à la fois le Réel, c’est-à-dire «l’Etranger, l’Hôte qui est en nous», pour reprendre la citation de Cocteau, et un père fabriqué de toutes pièces par Ellida, tissé dans les mailles du fantasme. Que ce père se présente sous les traits d’un père aussi attirant sexuellement que violent n’a rien d’étonnant, puisque sa présence est en rapport avec l’angoisse de la castration maternelle.

Ubiquité de ce personnage envoûtant, qui, parce qu’il est le rappel de l’amour maternel et de son énigmatique désir, traîne au-dessus de lui, non seulement «/les puissances de la mer» mais aussi la présence «des ailes noires et silencieuses» de la mort. Et ce, jusqu’au moment où Ellida peut lui dire, parce que le père primitif a cédé la place au père mort: «Pour moi, vous êtes mort. Un mort sorti de lo mer et qui retourne.»

Pour revenir aux « doublures errantes », n’est-il pas dans l’errance cet Etranger qui surgit d’on ne sait où et va repartir on ne sait vers quelle destination ?

Je voudrais saluer ici la superbe trouvaille de Claude Baqué concernant l’arrivée de L’Etranger, interprété par Nicolas Martel. Je vais vous dire ce qui m’est venu à l’esprit, dans l’après coup, bien sûr… l’Etranger traverse ce rideau d’eau comme on pourrait imaginer traverser l’écran du fantasme. Je dis bien « imaginer » car le fantasme, s’il se construit en analyse, ne se traverse pas.

Le fantasme est bien là pour protéger du Réel. Etoffe du désir, le fantasme est cet écran qui dissimule quelque chose de tout à fait premier. Et lorsque l’Etranger va retraverser le rideau de pluie pour retourner de l’autre coté, là d’où il vient, c’est-à-dire du coté du Réel- et la mise en scène le montre bien-nous savons qu’Ellida a pu se libérer de ce qui l’envahissait car son mari a fait coupure en acceptant de la perdre, introduisant du symbolique dans cet univers de violence pulsionnelle que ce rideau d’eau illustre si bien.

Puisque nous sommes dans les inventions, je voudrais saluer une autre invention de Claude- invention par rapport au texte d’Ibsen-, c’est l’introduction de la voix off lorsque Lyngstrand évoque la colère du marin en découvrant l’annonce du mariage d’Ellida dans le journal.

 

La voix off

Cette voix off, qu’entend Ellida et elle seule, car elle est dans une langue étrangère- norvégien ou pas, tout le monde s’interroge, Claude nous dira peut-être ou pas…- donc, cette voix off n’est-elle pas une belle trouvaille pour illustrer le retour dans le réel de ce qui a été forclos du symbolique ?

 

La créativité musicale : dompter le Réel

Puisque je viens d’évoquer la langue étrangère, autre, qui fait rupture dans le texte théâtral, il serait temps de saluer le travail de composition musicale de Camille et de ses musiciens, toute cette belle créativité.

Lorsqu’Elidda, par la voix de Camille chante dans cette langue venue d’ailleurs, il me semble que nous ne sommes pas dans le même registre qu’avec la voix off. Nous sommes dans le registre de la sublimation, de la créativité, qui renverrait là plutôt à une tentative de dompter le réel, de l’amadouer, de le pacifier. Si Ellida est envahie, cernée de toutes parts, comme elle le dit si bien, et l’eau partout présente dans la mise en scène de Claude Baqué le montre bien, lorsque la Dame de la mer chante, elle nous fait partager des moments de grâce émanant de sa mer intérieure. La voix sublime de Camille nous fait basculer dans un autre champ, et nous invite à naviguer sur les flots ce cette mer intérieure.

Alors petite question : Ce qui ne peut se dire pourrait-il être chanté dans une langue autre?

 

La tension entre Eros et Thanatos

L’eau est partout présente sur le plateau du théâtre des Bouffes du Nord, comme vous avez pu le remarquer. L’eau dans tous ses états et sous toutes ses formes. Une eau dans laquelle se reflète la lumière qui se diffracte et s’élance sur les cotés, faisant chatoyer les piliers de ce vieux et beau théâtre.

Jeux d’eau et jeux de lumière qui accompagnent, en plus du drame d’Ellida, l’humour, la malice et voire même la perversité.

Je fais bien sûr référence aux échanges des deux filles de Wangel avec leurs soupirants, vous l’aurez compris.

Comme le faisait si bien remarquer Claude hier soir, c’est le théâtre, c’est-à-dire la scène, qui met réellement en valeur des dialogues qui ne laissent pas filtrer toute leur importance à la lecture du texte de la même façon.

L’amour et le flirt sont au rendez vous. Mais pas seulement. La scène théâtrale n’est-elle pas le lieu d’accueil privilégié de la tension entre Eros et Thanatos ?

Cette tension est on ne peut mieux illustrée par le personnage de Lyngstrand interprété avec humour par Nicolas Maury qui a choisi de se jouer de la neurasthénie de l’artiste, un humour qui côtoie avec bonheur celui de la coquine Hilde, interprétée avec légèreté par Ophélie Clavie.

Quant à Bolette, interprétée par Marion Bottollier, après avoir prêté son écoute à Lyngstrand qui l’entretient sur le rôle que la femme (version maman) se doit de jouer dans la vie de l’artiste, elle sait y faire avec une exquise malice avec l’obsessionnel professeur-si dévoué- interprété par Nicolas Struve, qui court tout autour de la pièce d’eau par peur de se mouiller avant d’accepter de se jeter à l’eau… Il était temps, à son âge !

Un coup de chapeau à toute l’équipe, sans oublier Matthieu Ferry qui « sait y faire » avec les lumières…

Je vous remercie.

 

 

Article de Françoise Decant

Arthur Schnitzler : le mélancolique inconstant

Fantasme de séduction et répétition

dans «La Clinique lacanienne» (octobre 2011)

 

Freud admirait beaucoup Arthur Schnitzler. Dans la longue lettre qu’il lui adressa en 1922, à l’occasion de ses 60 ans, peut se lire certes l’admiration de Freud, mais aussi ce qu’il avait eu l’occasion déjà d’énoncer auparavant – à savoir le fait que l’artiste précède le psychanalyste.

« Je vais vous faire un aveu… Je pense que je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double… En me plongeant dans vos splendides créations, j’ai toujours cru y trouver, derrière l’apparence poétique, les hypothèses, les intérêts et les résultats que je savais être les miens. Votre sensibilité aux vérités de l’inconscient, de la nature pulsionnelle de l’homme, l’arrêt de vos pensées sur la polarité de l’amour et de la mort, tout cela éveillait en moi un étrange sentiment de familiarité. (Dans un petit livre écrit en 1920, Au-delà du principe du plaisir, j’ai essayé de montrer qu’Éros et la Pulsion de mort sont les forces originaires dont le jeu opposé domine toutes les énigmes de l’existence.) J’ai ainsi eu l’impression que vous saviez intuitivement – ou plutôt par suite d’une auto-observation subtile – tout ce que j’ai découvert à l’aide d’un laborieux travail pratiqué sur autrui[1]… »

Si l’œuvre de Schnitzler, encore mal connue de nos jours, est une formidable invitation à revenir à Vienne, dans cette Vienne fin de siècle, où naquit la psychanalyse et qui fut aussi le creuset de tant de richesses culturelles, nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement à la question de ce que Freud appelle dans sa lettre la polarité de l’amour et de la pulsion de mort dépliée dans le fantasme de séduction, telle que Schnitzler nous la donne à lire dans deux de ses œuvres, Anatole et Le retour de Casanova, et ce à partir d’un énoncé qui a fait énigme pour nous : il s’agit du « mélancolique inconstant ».

Mais tout d’abord, quelques mots concernant l’écrivain autrichien.

Étrange destin que celui d’Arthur Schnitzler qui, après avoir fait médecine et ouvert son cabinet, se consacra à sa passion : écrire. Il faut dire que cette passion s’empara très tôt de lui, car à l’âge de 13 ans, il avait déjà composé une bonne vingtaine de pièces de théâtre. Son invincible besoin d’écrire, pour reprendre ses propres termes, lui valut la publication d’une œuvre immense, à savoir aujourd’hui trente-cinq pièces de théâtre et cinquante-huit récits (nouvelles ou romans).

Schnitzler est né en 1862, mort en 1931. Fils d’un médecin renommé, professeur à l’Université, chef de service de laryngo-logie qui soignait les cordes vocales des stars de l’opéra et des acteurs de théâtre connus en utilisant l’hypnose, Arthur Schnitzler obtint son doctorat en 1885. Quatre,ans plus tard, il publia un article dans une revue scientifique, sur « L’aphonie fonctionnelle et son traitement par l’hypnose et la suggestion » qui visait à montrer comment appliquer la technique de Bernheim à la laryngologie.

En 1892, soit trois ans avant la publication des Études sur l’hystérie de Freud et Breuer, Schnitzler écrit Anatole, une pièce de théâtre[2] composée de plusieurs saynètes, dont l’une d’entre elles, «Question fatale», traite de la question de la vérité, une vérité qui ne peut se dire toute, même sous hypnose.

Cette question de la vérité, du mensonge et de la tromperie, question qui ne manque pas de renvoyer au dispositif analytique et au transfert, on la retrouve bien plus tard, mais sous une autre forme, lorsqu’en 1915, à 53 ans, Schnitzler se met à écrire son autobiographie relatant ses années de jeunesse (« Une jeunesse viennoise »).

Schnitzler se remémore, mais cette remémoration qui veut dire le vrai d’une histoire[3] n’a rien à voir avec la façon dont Schnitzler traite de la question de la vérité, la vérité du discours du sujet dans cette saynète intitulée « Question fatale ».

Dans les mémoires, on peut dire que l’Autre scène a quitté la scène… Par contre, avec Anatole, une place de choix lui est réservée, avec en particulier, l’équivoque, l’énigme sans cesse reconduite, la dualité, le paradoxe, l’inattendu, la vérité au-delà.

Le mélancolique inconstant

Anatole est un grand séducteur viennois, dont Schnitzler décrit les démêlés amoureux avec beaucoup d’humour, de légèreté, de subtilité et d’élégance : un vrai bijou.

Mais pourquoi Anatole éprouve-t-il le besoin de se qualifier de « Mélancolique inconstant », lorsque Gabrielle, sa maîtresse, lui demande à quelle classe d’hommes il appartient ?

Inconstant, certes, il l’est, ce séducteur qui collectionne les plus belles femmes, les petites grisettes[4], mais aussi les mondaines mariées qui le rejettent, et qui ne fait que voler d’une aventure à une autre, pour ne pas dire d’une déconvenue à une autre…, mais pourquoi se désignerait-il comme étant le Mélancolique ? Ne serait-ce pas ce que Schnitzler a trouvé de plus vrai pour designer le lien de l’amour et de la mort, mais aussi le lien de la répétition à la pulsion de mort, ce que Freud appellera plus tard la contrainte à la répétition : Wiederholungzwang. C’est bien sûr une hypothèse, mais une hypothèse que nous avons trouvée digne d’intérêt lorsque nous avons constaté en voyageant dans l’œuvre de Schnitzler, qu’il avait intitulé, un an après Anatole, son premier roman : Mourir[5], roman écrit sous l’emprise d’une sorte de nécessité et achevé de nuit sur une table de café…

Nous savons que c’est en 1914, avec son article « Remémo-ration, répétition et perlaboration », que Freud a commencé à conceptualiser la notion de répétition, mais ce n’est que six ans plus tard, en 1920, qu’il va proposer une nouvelle élaboration de l’appareil psychique en introduisant, avec l’idée d’un au-delà du principe du plaisir, la notion essentielle de pulsion de mort.

Entre-temps, cette question de la répétition n’a cessé de le travailler, en témoignent les petits essais qui ont été regroupés et publiés dans L’inquiétante étrangeté. La névrose d’échec est interrogée par le biais littéraire, que ce soit avec Macbeth de Shakespeare ou Rebecca – l’héroïne de Rosmersholm, la pièce d’Henrik Ibsen, qui refuse ce qu’elle avait le plus désiré -, mais en relisant ces petits essais, nous nous sommes aperçus que Freud, qui insistait tant pour rappeler l’abandon de l’hypnose dans « Remé-moration, répétition et perlaboration », n’avait pas pour autant mis de côté son frère jumeau, Thanatos, et lui avait réservé une place de choix dans son essai « Le choix des trois coffrets », qui date de 1913. C’est une façon de dire que la pulsion de mort n’est pas tombée comme ça en 1920 dans la théorie psychanalytique.

Du fait d’une inversion – la mort est remplacée par la jeune fille la plus belle, que ce soit dans la mythologie ou bien dans la dramaturgie -, L’homme surmonte la mort qu’il a reconnue dans sa pensée, nous dit Freud qui ajoute alors : « On choisit là où, en réalité, on obéit à la contrainte, et celle qu’on choisit n’est pas la plus terrifiante, mais la plus belle et la plus désirable. »

La répétition : répétition d’un échec

Anatole est un homme à femmes et il sait ce que séduire veut dire. Chacune des saynètes met en scène le fait que cela ne marche pas, que cela ne colle pas, soit parce que les femmes qu’il aime sont mariées, ou bien que les gentilles grisettes lui sont infidèles ou le fatiguent.

« Qu’est ce que le sujet cherche à répéter à son insu dans des situations qui ne sont pas nécessairement une source de plaisir ? », se demande Freud avant d’admettre « qu’il existe dans la vie psychique une tendance irrésistible à la reproduction, tendance qui s’affirme sans tenir compte du principe du plaisir, en se mettant au-dessus de lui ». Après avoir évoqué les patients qui ont l’impression d’être poursuivis par le sort, il nous dit en 1920 dans le chapitre « Principe du plaisir et transfert affectif » : « On connaît des amoureux dont l’attitude sentimentale à l’égard des femmes traverse toujours les mêmes phases et aboutit au même résultat » avant de parler du « retour éternel du même » et de la contrainte à la répétition, la Wiederholungzwang.

Grâce aux découvertes freudiennes, la psychanalyse renverse la croyance communément admise qui fait du séducteur, de l’homme à femmes, quelqu’un dont la recherche du plaisir ne serait soumise à aucune loi interne.

La répétition n’est pas répétition d’une satisfaction, elle est répétition d’une déception. Si rencontre il y a, ce ne peut être que rencontre manquée, rencontre manquée avec un réel qui se dérobe mais qui insiste et revient toujours à la même place, et qui se présente dans le champ de la psychanalyse sous la forme du traumatisme, c’est-à-dire de quelque chose de tout à fait inassimilable. Et c’est pour cela que le sujet va tisser le fantasme, pour masquer ce réel traumatisant, qui pourtant commande toutes nos activités. Or, « la place du réel, qui va du trauma au fantasme – en tant que le fantasme n’est jamais que l’écran qui dissimule quelque chose de tout à fait premier, est déterminante dans la fonction de la répétition » comme nous le rappelle Lacan en introduisant la question de la répétition dans le séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.

Dans Qu’est-ce que le réel ?, Gérard Pommier montre, à propos de la répétition de la rencontre amoureuse, comment l’inceste, qui est un des noms du réel, abrité derrière le fantasme, risque de pointer le nez lorsque le fantasme se réalise. Ainsi, le réel est tenu à distance par le fantasme d’un amour à venir qui n’est pas encore réalisé mais cherche à l’être. De sorte que le rêve d’un amour parfait est plus grand que l’amour présent et il anime ce qu’il y a d’inépuisable et de violent dans la quête amoureuse.

Cette violence peut s’entendre dans la saynète intitulée « Épisode », dans un passage où la position subjective du héros de Schnitzler est savamment dépliée dans toute sa complexité.

Anatole : « Il n’y a rien d’autre à raconter, au fond… Je la connais donc depuis deux heures, je sais qu’après cette soirée, je ne la reverrai probablement jamais – c’est elle qui me l’a dit – et pourtant je sens qu’à cet instant je suis aimé à la folie. Ce qui me pénètre tout entier – dans l’air alentour, notre ivresse exhale une senteur d’amour… Et puis m’est revenue cette formule ridicule et sublime : ma pauvre-pauvre enfant ! Le caractère épisodique de l’histoire m’est alors apparu en toute clarté. Et tandis que je sentais le souffle brûlant de C’était déjà du passé, en fait. Elle avait été l’une de celles que j’avais piétinées. Le mot a surgi en moi, ce mot aride : épisode. Et en même temps, j’étais moi-même comme hors du temps… »

Pris dans un présent qui signe son arrêt de mort du fait de ce trop grand amour qui l’envahit, le pénètre de toutes parts, Anatole est effectivement hors du temps et ce, jusqu’à l’arrivée – venue d’ailleurs – de cette formule à la fois ridicule et sublime, qui s’impose à son esprit, nous dit-on… Peut-on y voir ce que Lacan a appelé l’automaton, l’insistance des signes derrière laquelle gît le réel[7] ? C’est bien sûr une question. En tout cas, c’est ensuite à un véritable tissage de la réalité psychique que nous assistons, avec le retournement de la pulsion de mort en pulsion meurtrière, projetant le sujet sur la scène du futur en y installant un nouvel amour.

À la place d’une formule a surgi un signifiant « Episode » tissé dans les mailles du fantasme.

Mais n’est-ce pas à propos de la contrainte, Zwang, de la Wiederholung qui commande les détours mêmes du processus primaire, que Lacan mentionne l’emprunt de Freud à Fechner concernant ce lieu intemporel, cette autre localité, cette Autre scène ?


[1] 1. S. Freud, Correspondance, 1873-1939, Paris, Gallimard, 1979.

[2] A.Schnitzler, Anatole, Arles, Actes sud papiers, 1992. Anatole fut présenté au théâtre Athénée Louis Jouvet en 2003 dans une mise en scène de Claude Baqué.

[3] Malgré l’intérêt qu’on peut trouver à lire cette autobiographie, il est néanmoins difficile d’y voir une œuvre…

[4] Süsse madden dans le texte. Ce sont les filles des faubourgs, les actrices… Bref, le petit monde de l’époque.

[5] 5A. Schnitzler, « Mourir », dans Romans et nouvelles, tome I, Paris, La Pocho-thèque, 1996.

[6] Souligné par nous.

[7] Lacan parle de « l’insistance des signes à quoi nous nous voyons commandés par le principe de plaisir » dans Le Séminaire, Livre XI (1963-1964), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973.

 

 

 

Extraits de presse La Dame de la mer

La Dame de la mer

Henrik Ibsen

Extraits de presse

 

Les Quotidiens :

Longue robe rouge, cheveux en natte, Camille joue le rôle principal de cette pièce du norvégien Ibsen : Ellida, une femme mariée hantée par son premier amour, un marin « qui l’attire et l’effraie » et revient la chercher. Elle va choisir, « de son plein gré », entre son mari (Didier Flamand) et cet « étranger » (Nicolas Martel), son ancien professeur, ses deux belles-filles, un artiste souffreteux (surprenant Nicolas Maury) vont aussi trouver leur destin. Une superbe mise en scène, signée Claude Baqué, avec reflets sur le bassin et mur d’eau, porte la pièce et son héroïne.

Thierry Dague / Le Parisien

Rendons grâce à Claude Baqué de s’être attelé à la double tâche de (re)traduire cette pièce et de la monter pour nous donner à entendre le bouillonnement intérieur de la langue d’Ibsen, son à-propos et sa pertinence qui font du personnage féminin la figure centrale de ce drame. (…) Claude Baqué emporte le spectateur jusqu’au bout de cette aventure où l’intrigue se joue les pieds dans l’eau, physiquement. Le plateau n’est rien d’autre qu’un bassin où se meuvent les personnages dans un clapotis permanent, imprimant une musicalité étrange, qui amortit les déplacements et fait résonner étrangement les voix des acteurs. On se laisse bercer par les lignes mélodiques surgies de l’eau, les passages, remarquablement chantés dans la langue d’Ibsen par Camille qui, dans sa robe de sirène carmin, incarne le personnage encore de manière inégale mais qui ne laisse personne indifférent tant elle fait de sa fragilité un atout. Matthieu Ferry a imaginé une scénographie et des lumières qui épousent à la perfection les mouvements des voix et des corps, propulsant le spectateur dans un ailleurs, dessinant une cartographie imaginaire des sentiments plus que séduisante. La direction d’acteurs ne cède en rien à la facilité, chacun restant sur le fil d’une parole murmurée, retenue.  (…) Ce qui est magnifique chez Ibsen, c’est la capacité de ses personnages à parler vrai, à refuser les mensonges et les compromis. Nous ne sommes pas dans le grand déballage ni la foire fouille des sentiments mais dans le questionnement de la nature même de ces sentiments. Une espèce de droiture étonnante qui dit les maux sans violence, qui avance sans faux-semblants. Et la modernité d’Ibsen n’en est que plus éclatante?: le combat de son héroïne consiste à gagner sa liberté. Une liberté nécessaire pour, alors, choisir?: rester ou partir, rejoindre son ancien amant ou retrouver son mari. La Nora de La Maison de poupée choisit de partir?; son Ellida, ici, choisit de rester. Mais en toute conscience. Et cette fin, qui pourrait être contestée à maints égards, est tout simplement magnifique, hissant le personnage au rang d’héroïne des tragédies grecques.

Marie-José Sirach / L’Humanité

Dans sa robe rouge sombre, puis orangée, elle arpente l’eau salée, s’arrête les bras levés, puis entonne un drôle de chant nordique… Camille joue les sirènes et les marins d’eau douce du public des Bouffes du Nord sont hypnotisés. Jolie idée que de confier le rôle d’Ellida, la « Dame de la mer » d’Ibsen » à la chanteuse aventurière. Avec finesse, elle remplit les mystères et les  non-dits du texte de ses courts intermèdes cuivrés (deux cors et un tuba) ou chantés. Pare la prose d’Ibsen de jolies écharpes musicales.

Philippe Chevilley / Les Échos

Les Hebdomadaires / Mensuel

Ce spectacle réussi tresse douceur et angoisse, charme comme une marée émotionnelle. Classique et sobre, la mise en scène de Claude Baqué puise son éclat dans un décor sombre mais enluminé d’ondes, de reflets aquatiques et d’envolées musicales qui sont évidemment portées par la voix de Camile et joliment enlacées à deux cors et un tuba.

Alexis Campion / Le JDD

L’attachante chanteuse de « ta douleur » fait ses débuts de sirène au théâtre, sertie dans une mise en scène d’une grande beauté visuelle. (…) Claude Debussy aurait pu mettre en musique cette « Dame de la mer » du moins telle que montée par Claude Baqué dans une superbe atmosphère de songe. Au sol : de l’eau noire, où marchent les personnages ; au fond, un ciel de nuages ; et un rideau de pluie, soudain, derrière lequel apparaît un marin étranger. La musique ? Camille la signe, avec cors et tuba, échos lointains. Et elle joue Ellida, telle une fine sirène égarée sur terre. Jolie silhouette, soulignée par une longue robe rouge, toute simple. Gestuelle étrange, sans aucun naturalisme, bras tendus vers le ciel, belle présence, ferme et gracieuse. (…) Visuellement, le spectacle est très beau. Claude Baqué sait colorer certaines scènes d’une acide tonalité de comédie. Un instant magnifique, et soudain on pense à Edvard Münch, puisqu’il s’agit d’un long cri, profond, superbe, de Camille/Ellida.

Odile Quirot / Le Nouvel Observateur

Comme souvent chez Ibsen, le passé remonte par touches successives, comme des vagues. Face à Didier Flamand (Wangel), la chanteuse Camille interprète cette héroïne envoûtée avec une retenue toute simple. Droite, souvent immobile, elle semble flotter à la lisière de deux mondes. Parfois elle chante d’une voix qui ajoute encore à l’étrangeté du personnage. La mise en scène de Claude Baqué installe une atmosphère oppressante où percent des lueurs enjouées ; comme un ciel nuageux troué d’éclaircies, présage d’une libération possible.

Hugues Le Tanneur / Les Inrockuptibles

L’eau sur scène créée une sorte d’isolement des personnages dont on ressent profondément les insatisfactions et angoisses à voir leurs rêves leur échapper. C’est beau, émouvant et on se laisse porter grâce aux comédiens. A noter l’interprétation remarquable de Marion Bottollier dans le rôle de Bolette.

Hélène Chevrier / Théâtrales Magazine

Sous la voûte scénique des Bouffes du Nord, écrin sublime propice à toutes les rêveries, le metteur en scène Claude Baqué a dirigé ses comédiens les pieds dans l’eau. Comme si cette mer qui aimante Ellida venait se répandre jusque dans l’intimité de sa demeure. Ce tapis d’eau qui fait danser les lumières sur les murs du théâtre et réverbère les voix, crée une atmosphère visuelle et une ambiance sonore presque irréelle, contrastant avec les dialogues naturalistes de la pièce. Seul inconvénient, le son se perd un peu et certains mots s’évaporent sans que l’on puisse les capter. Mais c’est esthétiquement sublime et Claude Baqué évite ainsi le décor d’intérieur bourgeois plombant et redondant souvent utilisé dans les mises en scène d’Ibsen. Dans cette scénographie épurée et onirique où chaque élément (décor, lumières, costumes) s’assemble pour composer une succession de tableaux symbolistes, la pièce libère toute son aura poétique et sa dimension de fable. Les parenthèses de chant (que ce soit à capella, soutenu par trois cuivres ou par l’eau qui devient instrument de percussion), en norvégien (langue maternelle de l’auteur), se distillent au compte-goutte, jamais intrusives ou en surcharge. La voix de Camille y est d’une clarté inouïe, cristalline et profonde, d’une texture qui semble marier le ciel et la mer. Unique. Quant au reste de la distribution, comme si les mélopées de la dame de la mer irriguaient leur être, leur phrasé se fait mélodique et rythmique. Musical. Mention spéciale à Nicolas Maury, en équilibre subtil entre comique et tragique, et à Nicolas Martel, apparition charnelle et fantomatique. « La Dame de la mer » est une pièce au scénario saisissant par ses motifs, ses enjeux, sa chute renversante. Claude Baqué en fait un spectacle dense et précis, à l’étrangeté envoûtante. Magnifique.

Marie Plantin / Pariscope

La Presse Web :

La belle idée de Claude Baqué qui signe la mise en scène et la nouvelle traduction de la pièce est d’avoir demandé à la chanteuse Camille d’incarner le rôle d’Ellida pour faire ainsi en sorte que son personnage demeure à jamais insoluble au milieu de sa belle troupe d’acteurs. Ibsen fait ici s’entrechoquer deux mondes, celui du conte fantastique et celui du drame bourgeois réaliste. Mais on laissera au spectateur la joie de découvrir lequel des deux univers sort vainqueur de l’épreuve. Ainsi les chants chamaniques interprétés par Camille ne vont-ils cesser de perturber la quiétude de cette maisonnée où nul n’ose se confronter à la folie de vivre. Climax de ce bras de fer entre la bienséance bourgeoise et le désir d’onirisme : le retour de l’amant terrible, un moment d’exception où la mer entière semble envahir les murs du théâtre des Bouffes du Nord pour tenter, en se retirant, d’emporter la belle Ellida vers le grand large. La découverte d’une pièce rare d’Ibsen et d’une Camille impériale en égérie tourmentée aussi irrésistiblement belle que folle à lier.

Patrick Sourd / Even.fr

Épaulé par le scénographe Matthieu Ferry, Claude Baqué a mis en place un univers où l’eau est omniprésente. Elle recouvre le plateau, accompagne de son clapotis chaque déplacement des comédiens et reflète implacablement tous leurs tourments. Elle s’infiltre, remonte le long des costumes, comme si elle absorbait les personnages, les alourdissait lentement pour mieux les avaler. Vient s’y ajouter, lors des apparitions de l’étranger un rideau de pluie : il émerge de l’eau tempête, semblant appartenir corps et âme à cet élément. C’est  grand, beau, impressionnant.

Delphine Kilhoffer. Rhinoceros.eu

Question scénographie, Mathieu Ferry a vu les choses en grand. Au sol, un immense bac d’eau noir pour la scène, qui fait écho à un immense fond blanc sur lequel l’eau vient parfois se refléter, agrémentés d’un brouillard intermittent. Pour seuls éléments de décors, une table basse et des bancs en bois, portés par les comédiens au début et retirés à la fin, pour laisser la place uniquement à cette fameuse décision finale la disparition du marin, dans le néant de la mer. D’ailleurs, celui-ci apparaît et disparaît de la même façon, sous une cascade surprenante d’eau, représentant les flots de la mer. Le noir et blanc est à l’honneur. Comme annonçant par avance toute la douleur du choix. Ou pour placer l’héroïne entre la vie et la mort, entre la prison et la liberté. Tous les personnages arborent ces couleurs sauf Ellida, teintée du rouge de la vie et du sang, et le sculpteur malade, en jaune couleur de la maladie et de l’arlequin, car il est celui qui teint d’humour ce drame. En fond, les sons dissonants et sombres des cors plongent nos oreilles dans la tragédie en marche, aidés par la très bonne accoustique offerte par le lieu. D’ailleurs, tout semble sombre, même les lumières, qui se concentrent parfois sur Ellida, alias Camille, redevenue chanteuse, lorsqu’elle envahit l’air de sa douce voix aux modulations aériennes et maîtrisées, en norvégien, accompagnée par les cuivres, qui apparaissent, un temps, sur scène. Ce sont d’ailleurs ces moments épars dans le spectacle qui sont, à mon sens, les plus poétiques, les plus beaux, et qui forment un bel hommage à cette magnifique oeuvre d’Ibsen.

Rachelle Dhéry / Un Fauteuil pour l’orchestre.com

Marion Bottollier (Bolette) est délicieuse de grâce et d’ambition souriante et têtue. Ophélie Clavie (Hild) incarne la jeunesse effrontée. Nicolas Struve est excellent dans le rôle inattendu de l’amoureux, maladroit aux jeux de la séduction mais doué dans l’art de convaincre. Quant à Nicolas Maury, il est très drôle en sculpteur éthéré en quête de création, malheureuse proie des moqueries de Hilde.

Corinne Denailles / Webthea.com

La mise en scène de Claude Baque à qui l’on doit aussi la traduction, puise son originalité dans une scénographie inattendue, un dispositif aquatique qui était peut-être une bonne idée mais qui freine considérablement les comédiens dans leurs déplacements et finit par nuire à une fluidité de l’ensemble. La présentation est contrastée et multiplie les ruptures de ton bienvenues, que l’on doit au jeu inspiré de certains comédiens, à des fulgurances adroitement décalées, comme la scène de la demande en mariage à Bolette par le professeur Amholm, à la présence nonchalante et irrésistible de Nicolas Maury dans le rôle de l’aspirant artiste, Lyngstrand.

Francis Dubois / Snes.edu

Presse Quotidienne Régionale

Superbe. La saison culturelle dinannaise avait pris le risque de programmer l’adaptation de la pièce d’Ibsen. Tout concourt à magnifier cette « Dame de la mer », écrite à la fin du XIX e siècle, aux prémisses des bouleversements de la condition des femmes. Les comédiens y sont excellents, Marion Bottolier joue divinement Bolette. Camille a quitté, pour un temps, ses concerts pour ses premiers pas au théâtre. Quand elle psalmodie des complaintes nordiques, on est chamboulé. Un bravo tout particulier aux éclairagistes qui ont réussi la prouesse de reproduire sur scène les lumières blafardes des jours sans fin de la Norvège.

Ouest-France

Proposer le rôle d’Ellida à la chanteuse Camille est la première audace de Claude Baqué : pour interpréter le rôle de “La dame de la mer” de Henrik Ibsen, le metteur en scène a pensé à cette artiste qui alterne chant et texte, avec beaucoup de conviction. La voix de la chanteuse est captivante et singulière, les chants en norvégien d’une beauté unique. La seconde audace du spectacle est sa scénographie : les comédiens jouent dans un bassin d’eau ! Le travail de Mathieu Ferry à la lumière et à la mise en espace est vraiment en harmonie avec ce texte puissant, néanmoins accessible et non dénué d’humour. « Ellida vient du peuple de la mer… Il y a un ondoiement de leurs pensées et de leurs sentiments », explique le mari d’Ellida pour évoquer les fantômes qui la hantent. La langue d’Ibsen convoque les éléments ; il est question de tempête d’équinoxe, de fjords, d’étang aux carpes ou de soleil de minuit… Chaque comédien joue juste, mettant particulièrement en valeur le beau texte. Du théâtre exigeant qui ne laisse pas indifférent, d’autant que les thèmes chers à Ibsen gardent une modernité étonnante.

Le Dauphiné Libéré

Traduction de La Dame de la mer / Le livre

 

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Le texte de « La dame de la mer », de Henrik Ibsen, dans la traduction de Claude Baqué, est publié par Acte2Deux.

Le texte de La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, dans la traduction de Claude Baqué, est publié par Acte2Deux.

Il est en vente au tarif de 13 €.

il est possible de passer commande du livre par mail, à l’adresse suivante : acte-deux@orange.fr