Le Manuscrit inachevé

On n’achève pas une œuvre, on l’abandonne

(Giacometti)

Jusqu’à une période récente, cette pièce n’était connue en Suède qu’à travers une version remaniée par Axel Lundesgård, un ami écrivain auquel Victoria Benedictsson avait confié le soin de publier son œuvre après sa mort. Il aura fallu attendre qu’un éditeur entreprenne d’en exhumer les feuillets originaux pour que l’on découvre, un siècle plus tard, sous les rajouts du continuateur, l’éclat de l’écriture de l’auteure.

En avril 1888, elle notait : « Je ne peux toujours pas l’écrire au propre. J’ai jeté ça en toute hâte sur le papier, en tremblant et sans souci de la forme. Il y a un vide. Je ne peux pas le combler. C’est comme de graver dans son propre cœur avec une aiguille. » Quelques semaines plus tard, elle se donnait la mort.

C’est ce manuscrit inachevé, délesté de son colmatage posthume, qu’avec Katrin Ahlgren nous avons traduit. L’éditeur suédois a marqué d’un signe (I—I) ces blancs qui apparaissent dans les feuillets, où doivent manquer une ou plusieurs répliques, parfois même une scène entière.

La pièce a été représentée plusieurs fois en Suède. Elle a même été adaptée pour la télévision, puis pour la radio. Elle a aussi récemment été créée à Londres. Mais toujours dans sa version remaniée. Notre mise en scène sera la toute première création de cette pièce dans sa version d’origine.

Si nous avons fait le choix de ce manuscrit non-fini, c’est qu’il nous est apparu que ses recouvrements ultérieurs, en cherchant à combler un manque qui lui est essentiel, barraient l’accès au sens même de la pièce.

Nous faisons le pari qu’en lui restituant cette part d’inachevé, qui est sa marque même, son symptôme, ce qui n’a pas pu s’écrire ne manquera pas de s’entendre.