Didier Méreuze / La Croix

 

Famille, je vous hais !

Quelques semaines après la création de Catégorie 3 de Lars Noren à Nanterre, et peu de jours avant la venue dans le même théâtre du suédois en tant que metteur en scène de la Mouette cette fois, Claude Baqué fait découvrir au Théâtre de l’Opprimé, à Paris, sa pièce au titre énigmatique : « Bobby Fischer vit à Pasadena »

D’abord, il y a le père qui ne dit rien. Et puis la mère qui parle tout le temps. Ensuite, il y a le fils, autiste. Enfin la fille, qui boit. Rassemblés comme dans une chanson de Brel, ce sont les personnages de «Bobby Fischer vit à Pasadena» du suédois Lars Noren. Mais leur monde n’est pas celui des petites gens; il est celui de la bourgeoisie où le whisky remplacer le «rouge qui tâche». De retour d’une soirée au théâtre, ils se retrouvent le temps d’une réunion de famille impromptue autour d’un verre pris sur la petite table basse. Les banalités s’échangent. Dans les premières minutes, on ne soupçonne rien. Puis, peu à peu, l’atmosphère se tend. Aux tirades de la mère répondent les «petites phrases» ironiques de sa fille, dont on apprend qu’elle ne vit plus depuis longtemps sour leur toit. Le père fait semblant de ne rien entendre. Le fils, lui, intervient par à-coups, sans autre logique apparente que la sienne. Bientôt sonne l’heure des mises en accusations, des cadavres qu’on ressort du placard. C’est le grand déballage. Il durera jusqu’au matin…

De même que Jon Fosse, son voisin norvégien (mais dans un style différent !), Lars Noren est passsé maître dans l’art de faire entendre ce qui ne se dit pas, ce qui ne s’avoue jamais à soi comme aux autres – blessures secrètes, douleurs cachées, désirs refoulés, rancœurs rentrées… enfermés depuis longtemps sous la double chape de la bonne conscience et du contentement de soi. Usant de la psychanalyse comme de la critique sociale, ce sont ces vérités qu’il fait remonter à la surface au fil d’une écriture qui gratte où ça fait mal, taille dans la chair.

Metteur en scène, Claude Baqué a créé cette pièce en France au début du mois de mars. C’était à Mayenne. Il reprend ce spectacle pour quelques jours encore à Paris, dans un théâtre «alternatif» (et essentiel!) : le Théâtre de l’Opprimé. Il serait dommage qu’il nesoit pas représenté par la suite ailleurs. C’est qu’ici tout n’est qu’évidence, simplicité savante -du décor (un salon chic, sans chichis…) aux déplacements et au jeu des comédiens (ces «adultes qui font semblant, qui parlent et tournent en rond», comme l’affirme une réplique!). L’air de rien, ils font éclater le vernis des bonnes manières comme des bons (ou mauvais) sentiments pour conduire jusqu’au plus profond désarroi d’être. C’est vrai de Geneviève Esménard, la mère abusive et castratrice, hier actrice, aujourd’hui femme délaissée qui monopolise la parole parce que parler est pour elle la seule façon qui lui reste d’être au monde. C’est vrai d’Alexis Nitzer, le père démissionnaire vis-à-vis de ses enfants comme de sa femme qu’il délaisse, préférant faire chambre à part. C’est vrai encore de Nicolas Struve, le fils qui s’est retiré sur de lointaines terres sans que personne (ni lui sans doute) sache pourquoi, comme d’Isabelle Habiague, la fille mortifère depuis la mort de son enfant, noyant dans l’alcool son incapacité à se libérer de son angoisse face au monde, à l’absence du père, à l’omniprésence maternelle…

Didier Méreuze

Extraits de presse Septembre blanc

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«  12 septembre 2007. La poussière des tours anéanties n’est pas encore retombée sur New-York. Le ciel est blanc. L’air irrespirable. Ben pousse un profond soupir de soulagement. Il aurait dû se trouver au World Trade Center à l’heure fatidique. Heureusement qu’il trompe sa femme avec une collègue de bureau ! Il n’a pas remis les pieds chez lui depuis. Ni au boulot. (…) Du contraste entre l’énormité de la catastrophe et le calcul des survivants, le jeune dramaturge américain Neil Labute tire un comique cinglant. Sans quitter leurs fauteuils club, Xavier Gallais et Simona Maïcanescu, dirigés avec subtilité par Claude Baqué, confèrent à l’affrontement des amants une telle cruauté qu’on en oublie l’étroitesse de la scène. On sort de ce duel à mort ébloui et sonné. »

Jacques Nerson – Le Nouvel observateur – 24 avril 2003

« Ce n’est pas une pièce historique, encore moins sociologique. Dans Septembre blanc, de l’américain Neil LaBute, la tragédie du 11 septembre 2001 agit comme un révélateur. Décapant. Terrifiant. (…) Les mots, crus et cruels, claquent. Xavier Gallais et Simona Maïcanescu se livrent une joute verbale vertigineuse, qui conduit le spectateur dans une réflexion dérangeante. Au plus profond du sentiment de lâcheté. »

Bruno Bouvet – La Croix – 26 avril 2003

« C’est le dernier auteur (et cinéaste) à la mode aux Etats-Unis. Un homme, une femme. La veille, le 11 septembre 2001, New York a connu l’apocalypse. Dictée par l’effroi, la pièce révèle avec force (et un brin de complaisance) la blessure, l’orgueil blessé, les fascinations et la veulerie d’une certaine Amérique. A déconseiller si vous êtes un peu déprimé, mais on ne peut que saluer le travail des comédiens: ils s’impliquent, ils se mouillent. On les sent, on les touche presque. »

Frédéric Ferney – Le Point – 2 mai 2003

« Dans de grands fauteuils club, quelques images brouillées projetées parfois derrière eux, les protagonistes doivent se soumettre à ces échanges totalement artificiels (traduction de Bernard Hœpffner) qui sont au cœur de la pièce. Simona Maïcanescu, volontairement sèche et raisonneuse, terrible, comme le veut Neil Labute, ne manque pas de cran : c’est délicat de jouer un personnage qui n’est pas fondamentalement sympathique ! La comédienne est excellente et assez drôle. Face à elle, Xavier Gallais, dans le va-et-vient de l’inconstance plus que de la panique, donne aussi une image courageuse d’un type auquel on a bien du mal à s’intéresser vraiment. Claude Baqué, qui signe la mise en scène, s’appuie d’abord sur la présence des deux interprètes qui sont de très bons comédiens. Mais LaBute est trop méchant, trop négatif. On ne croit pas à cet échange. Il n’a aucune compassion pour ses personnages, il est difficile d’avoir pour eux la moindre empathie. »

Armelle Héliot – Le Figaro – 21 avril 2003

« 12 septembre 2001. Si Ben n’avait l’habitude de retrouver sa maîtresse aux heures de bureau, son corps serait actuellement enfoui sous les décombres du World Trade Center. Et l’on blâme l’adultère ! Depuis hier, son téléphone mobile n’arrête pas de sonner. Surtout ne pas répondre. Bientôt son nom figurera sur la liste des disparus et, tandis que sa famille honorera sa mémoire, il ira refaire sa vie au Mexique ou ailleurs en toute sécurité… La noirceur de Bash avait épouvanté certains spectateurs. Quelle sera leur réaction face aux sarcasmes et imprécations de Septembre blanc, du même Neil Labute ? Ce jeune auteur américain a la chance d’être servi ici par deux acteurs exceptionnels, Xavier Gallais et Simona Malcanescu, dont l’affrontement est savamment arbitré par Claude Baqué. Ça, c’est de la boxe!

Jacques Nerson – Valeurs actuelles – 2 mai 2003

« Ce que j’apprécie chez toi, c’est cet attachement obstiné à n’être qu’un foireux », déclare Abby à son amant, sur la scène de l’Athénée. Dans un langage ironique et cinglant, Septembre blanc mêle la tragédie d’une nation à celle, plus intime, d’un couple. Vissés dans leurs fauteuils Clubs, les deux comédiens Simona Maïcanescu et Xavier Gallais sont remarquables de justesse. Leurs scène de ménage transmet à merveille l’atmosphère pesant de ce jour fatal. »

Céline Jacq – 20 Minutes – 24 avril 2003

«  Claude Baqué, qui suit un fil contemporain de Koltès à Arrnando Llamas, de François Bon à Lars Norén, a su repérer ce texte dont l’écriture est passionnante de vérité. »

Mari-Mai CORBEL – Mouvement.net – 17 avril 2003

«  La mise en scène de Claude Baqué est sobre, mais accentue par sa réserve la force de la joute dialectique. Les séquences vidéos créent parfois une légère distance entre les acteurs pour mieux nous replonger dans leur corps à corps endiablé. Le spectateur attentif, incertain, amusé, souvent touché, s’attache à ces êtres plongés dans une situation improbable mais criante de vérité : leurs peurs et faiblesses sont finalement un peu celles de chacun d’entre nous. »

Julien Ciamaca – Théâtre Online – 23 avril 2003

«  Après le succès de Bash, cette dernière pièce de Neil LaBute écrite en décembre 2002, nous dévoile une nouvelle fois des personnages hors du commun, sans aucune moralité et prêts à commettre les actes les plus extrêmes pour parvenir à leur fin. Ici, la traditionnelle image du héros américain qui meurt pour la bonne cause laisse la place à celle d’un être lâche et vivant. Comme si l’auteur s’amusait à nous bousculer en reniant les clichés. Le décor reste épuré à l’extrême: deux fauteuils avec, en arrière plan, l’épais nuage de poussière qui recouvre New York. »

Olivier Billaud – Theatrothèque.com – 21 avril 2003