Note de mise en scène

Le Soleil de minuit

On distingue d’ordinaire trois moments dans l’œuvre d’Ibsen : ce qu’on appelle ses « pièces de jeunesse » (dont quelques chefs d’œuvres encore jamais représentés en France !) ; les trois grandes pièces du milieu de sa vie (Brand, Peer Gynt et Empereur et Galiléen) ; et enfin, ce qu’on appelle « Les drames modernes », ce vaste massif de douze pièces, qu’il écrivit au rythme d’une tous les deux ans, entre 1877 et 1899. La Dame de la Mer, achevée en 1888, s’inscrit dans ce dernier ensemble, entre Rosmersholm et Hedda Gabler.

Or, les dernières pièces d’Ibsen ont en commun de finir par la mort des principaux protagonistes. Rebekka et Rosmer se jettent dans le torrent du moulin. Hedda et Løvborg se tirent une balle dans la tête. Solnesss tombe du haut de sa tour. Et tant d’autres… À ce titre, La Dame de la mer fait exception. Et la chose fait débat. On s’entend à reconnaître que c’est une pièce magnifique, mais (car il y a un mais…) dont la fin ne serait pas « convaincante ». L’auteur aurait commis une sorte de happy end, qui ne passe pas. Le plus souvent, les arguments sont extérieurs à la pièce elle-même. Cette « fin heureuse » viendrait contrarier le pessimisme d’un Ibsen prophète des désastres du siècle à venir. Ou bien, elle serait un retour à l’ordre bourgeois (la Nora de Maison de Poupée qui rentre au bercail !). Susan Sontag, en introduction à son « rewriting » de La Dame de la mer, affirme quant à elle que cette fin serait une faute dramaturgique.

Dans cette « polémique », nous prendrons le parti du texte. Et notre mise en scène se propose de faire mentir ceux qui donnent des leçons d’écriture à Ibsen, comme on donnerait des leçons de musique à Schubert. Non pas parce que ça ne se fait pas, mais parce qu’ils se trompent. Cette fin est non seulement « possible », mais « nécessaire ». Et elle engage le sens même de la pièce.

Mais de quoi s’agit-il ? D’une jeune femme, mariée avec un homme plus âgé, auquel elle se refuse depuis qu’ils ont perdu un enfant en bas âge, et qui est envahie par une étrange mélancolie, une « irrésistible nostalgie de la mer ». Elle a des visions. À tout moment apparaît devant elle, « en chair et en os », un marin avec qui elle s’est autrefois fiancée et qui a les mêmes yeux bleus que l’enfant mort.

Un homme arrive soudain, un « Étranger ». C’est lui. Il lui rappelle qu’il avait promis de revenir la chercher. À la fois effrayée et attirée par cet homme, elle demande à son mari de la protéger. L’Étranger se retire, en lui disant de se tenir prête pour le lendemain. Elle accuse alors son mari de l’avoir « achetée », et lui demande de la laisser partir avec le marin. Lorsque celui-ci revient, le mari décide de la laisser libre. Elle choisit finalement de rester et l’homme disparaît.

C’est cette fin, qui est contestée. Sur la forme comme sur le fond. Un oui à l’un, qui est un non à l’autre, et la pièce « se retourne », en effet. Mais ce « retournement » doit être entendu à son sens le plus haut. C’est un évènement. Qui annule tout ce qui l’a précédé.

Ellida était inscrite dans une histoire qui n’était pas la sienne. Son père, gardien de phare, l’avait baptisée d’un nom de bateau, sorte de « vaisseau fantôme » tiré d’une vieille saga islandaise. Plus tard, les gens de la ville l’ont appelée « La Dame de la mer », parce qu’elle se plongeait chaque jour dans l’eau, quel que soit le temps. Et les artistes rêvaient de la sculpter en femme de marin ou de la peindre nue échouée sur un rocher. Tout semblait la vouer à ce « destin de sirène ».

Or, son choix vient effacer d’un coup ce qui était écrit d’avance. Si leurs histoires se ressemblent étrangement, Ellida n’est pas la Senta du Vaisseau fantôme de Wagner, qui finit par se jeter à l’eau. Lorsque son marin revient, elle est prête, elle aussi, à faire le grand saut. Elle est bord de l’abîme. Wangel ne la retient pas. Il la laisse libre de son choix. Et la « métamorphose » a lieu.


On peut comparer ce geste, à plus d’un titre, à ce coup de génie des marins portugais, qui firent le pari, au péril de leur vie, qu’en s’abandonnant aux vents dominants, ils allaient rencontrer, au cœur de l’océan, les vents contraires, les alizés, en ce point de « retournement » que l’on a appelé la volta do mar. Ils se sont « fiancés aux vents » et ils ont découvert l’Amérique.

Le continent qu’Ellida découvre à son tour, à l’instant même où, libérée, elle décide de rester, n’est rien moins que son propre désir. Mais elle aura gagné les rivages de ce « nouveau monde » au prix d’une périlleuse traversée. Notre mis en scène sera le récit de ce voyage.

Comme toutes les grandes figures féminines d’Ibsen, Ellida est une « femme sous influence ». Mais, contrairement à la Rebekka de Rosmersholm, ou à Hedda Gabler, elle se libère. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que la cage dont elle s’évade n’est pas celle qu’on aurait pu imaginer. Contrairement à Nora, c’est d’elle-même, qu’elle se libère. Et par la parole. C’est d’avoir eu le courage de nommer son emprise, qu’elle finira par s’en délivrer. D’où l’étrange écho que ce personnage devrait, aujourd’hui, rencontrer.

Lorsque j’ai proposé à Camille d’interpréter le personnage d’Ellida, elle m’a répondu qu’elle se sentait si proche de cette « Dame de la mer », qu’elle aurait pu aussi bien la chanter. Je me demandais alors comment donner corps, dans la mise en scène, à cette fusion du personnage avec la mer, à cette nostalgie, à cette douleur. Et il m’est apparu que le chant pouvait être ce « corps des larmes » d’Ellida, la musique étant un autre nom de la mer elle-même.

Nous avons donc convenu d’introduire ces plages de chants, qui interviennent à ces moments précis où Ellida s’évade vers sa « mer intérieure ». Le temps théâtral y est comme suspendu. Elle laisse alors venir ce qui monte en elle, ce qui fait retour comme ce qui veut naître en elle. Des moments d’invention, de pure création, voir d’improvisation qui, du cœur de la tempête, préfigurent en quelque sorte la « métamorphose » finale : la sirène devenue femme.

Claude Baqué – Novembre 2011


Françoise Decant / La Dame de la mer ou le désir de l’impossible

 

Extrait de L’Écriture chez Henrik Ibsen, de Françoise Decant, Éditions Érès, 2007, p131-140

Ferenczi s’était beaucoup intéressé à la Dame de la mer, et il était allé jusqu’à faire un rapprochement entre l’intrigue de la pièce et la dynamique d’une analyse mettant le mari, le docteur Wangel, en place de psychanalyste. « On pourrait comparer La Dame de la mer au traitement psychanalytique d’une représentation obsessionnelle », écrit-il à Freud le 17 juillet 1908[1].

Il parle d’un cas de monomanie pour désigner l’obsession qui ravage Ellida, l’héroïne, à savoir un attachement démesuré à la mer. Ellida, « la fille du gardien du phare » surnommée la « Dame de la mer », tant elle aime se baigner, est donc mariée au Dr Wangel, veuf et père de deux jeunes filles, qui l’entoure d’une bienveillante sollicitude. Malgré cela, Ellida n’est pas heureuse. Quelque chose l’attire ailleurs… Mais elle ne sait pas quoi, ni pourquoi…

L’histoire

Le Dr Wangel, inquiet de l’état de santé de sa femme, confie ses craintes à son ami : « Elle est un peu nerveuse depuis quelques années, je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle a. On dirait que sa seule vie, c’est de se plonger dans la mer, voyez-vous. » Puis Wangel invite sa femme à lui parler, profitant d’un moment où ils sont seuls : « Nous ne pouvons pas continuer ainsi », lui dit-il, estimant qu’il doit savoir pourquoi elle ne veut pas vivre avec lui « comme sa femme ». Ellida accepte alors de mettre des mots sur ce qui l’oppresse. « Nuit et jour, hiver comme été, elle me submerge, cette vertigineuse nostalgie de la mer ». Wangel, qui a du mal à saisir ce que dit sa femme, lui propose de déménager et de s’installer au bord de la mer, n’importe où, prêt à sacrifier sa clientèle de médecin. Mais Ellida refuse. Elle préfère lui dire « les choses comme elles sont », ou plutôt, précise-t-elle, « comme elles me semblent être ».

Elle va commencer par lui rappeler qu’elle avait aimé un autre homme autrefois, un marin, avec lequel elle avait été fiancée, et qu’elle pense toujours à cet homme, qui avait exercé un singulier pouvoir sur elle. Wangel, que Ferenczi[2] n’a pas hésité à installer en place de psychanalyste, lui propose alors : « Mais il ne faut plus y penser. Jamais » et il ajoute : « Nous essaierons une autre cure pour toi ».

Si la cure de paroles avec l’aveu concernant cet amour de jeunesse a échoué, Ellida rejette la cure maritime et l’air vivifiant de la mer, car ce qu’elle veut, c’est continuer à dire, à parler de ce qui l’envahit. Courageusement, son mari accepte à nouveau de l’écouter. Ce n’est plus d’un amour de jeunesse dont elle entend parler alors, mais de l’effroyable, et avec cet effroyable va être introduit celui qui se nomme désormais dans le texte d’Ibsen « l’Étranger ».

« L’Étranger »

Cet étranger inspire à Ellida une peur si effroyable comme seule la mer peut en inspirer, précise-t-elle. Lorsque Ellida cherche à décrire cet homme, ce marin avec l’épingle de cravate et la perle qui ressemble à un œil de poisson mort qui la regarde, Wangel réalise que sa femme est bien malade. « Tu es plus malade que je ne le pensais », lui dit-il. Ellida le supplie alors de l’aider, car, dit-elle, « Je me sens cernée de toutes parts ».

Le soir même, l’Étranger fait son apparition : s’adressant à, elle, il lui dit, comme s’il l’avait quittée la veille: « Bonsoir Ellida !… Me voilà ! … je viens te chercher. » Mais Ellida est terrorisée: « Les yeux, les yeux… Ne me regardez pas ainsi ! »

Elle demande alors à son mari de la sauver, de la débarrasser de ce qu’elle nomme « cette chose horrible, effroyable » : «sauve-moi de mo-imême », le supplie-t-elle. Wangel, avec une incroyable perspicacité, lui dit : « Ellida, je le pressens, il y a autre chose. » Ellida parle de l’attirance : «Cet homme est comme la mer». Pragmatique, Wangel, une fois l’Etranger parti, pense que cette irruption de la réalité va peut-être faire du bien à sa femme et balayer ce qu’il appelle « ses imaginations morbides », bref la guérir. Mais il se trompe. Ellida est toujours autant torturée par l’angoisse. L’Étranger n’a-t-il pas dit qu’il reviendrait la chercher demain ? Wangel, comme mari, mais aussi comme médecin, affirme dans un premier temps que son devoir est de la protéger, envers et contre tout, même si sa femme s’y oppose. Dans un deuxième temps, il va la laisser choisir.

Ferenczi : le noyau volcanique

Ferenczi résume la fin de la pièce en ces termes : « Le mari comprend que quatre murs peuvent retenir le corps d’un être certes, mais non ses sentiments. Il rend donc à sa femme le droit de disposer d’elle-même, et la laisse libre[3] de choisir entre lui et l’aventurier. Et dès qu’elle est libre de choisir, c’est à nouveau son mari qu’elle choisit. Cette décision librement prise met fin à tout jamais à la pensée torturante de n’aimer son mari que par intérêt[4]. » Par la suite, Ferenczi, qui rapproche la pièce du déroulement d’une analyse, évoque dans un premier temps l’importance de la levée du refoulement : «Le souci ou la pensée inconsciente qui a valu tant de tourments inutiles au malade ne pouvait le troubler que tant qu’il restait dans l’inconscient, à l’abri de la lumière démystifiante de la conscience. »

Mais on sent bien qu’il a perçu que les choses n’étaient pas si simples… Il parle de certains conflits non résolus, puis il évoque tour à tour des maux réels, l’indestructibilité de certains symptômes névrotiques, et il termine son article par la question du deuil qui peut « aussi » prendre deux formes : « Le deuil physiologique et le deuil pathologique ». Mais Ferenczi ne dit pas explicitement à quoi se rapporte cet « aussi». Serait-ce aux deux formes de refoulement qu’il pensait sans vraiment les nommer ?

En effet, on voit bien que la levée du refoulement ne résout pas tout. Ellida est toujours aussi angoissée malgré la révélation faite à son mari de cet amour de jeunesse qui l’obsède. Le noyau central de l’angoisse, lié au refoulement originaire et la jouissance qui s’y rattache est resté intact. Ce noyau central, Ferenczi le compare à un « noyau volcanique », et les termes qu’il utilise alors se rapportent bien à la force de la pulsion ainsi qu’à l’excès de jouissance pulsionnelle qui va être rejeté par le sujet lors du refoulement originaire. Après avoir évoqué le caractère « indestructible » des symptômes nèvrotiques, Ferenczi écrit : « Le complexe dissimulé dans l’inconscient, tel un noyau volcanique, se remplit sans cesse d’énergie, et lorsque 1a tension atteint un certain niveau, de nouvelles éruptions se produisent[5]. » Nous sommes bien dans le pulsionnel…

Mais revenons à La dame de la mer, pièce dont le titre avait été annoncé quelque trente ans plus tôt sous forme d’une hallucination, dans le poème lyrique d’Ibsen, Peer Gynt[6], lorsque Peer, le héros, croit voir figurée « une dame de la mer» sur le fronton de la cabane où se trouve Solvejg, l’objet incestueux, au moment où l’angoisse l’envahit.

Le nouage du sexuel au réel de la mort.

Dans ce très beau texte d’une saisissante sensualité, Ibsen va nouer le sexuel au réel de la mort, et ce nœud, c’est un marin qui va s’en faire le représentant.

La mer, l’une des figures de la mère empruntée au symbolisme, est cet étrange objet de fascination mortifère.

Ellida ne comprend pas plus que son mari, le Dr Wangel, pourquoi elle est attirée par la mer, mais, grâce à lui, qui l’invite à dire, elle, va tenter de mettre des mots sur ce qui ne cesse de l’envahir : « Nuit et jour, hiver comme été, elle me submerge, cette vertigineuse nostalgie de la iner ». Lorsqu’elle écarte l’idée d’aller vivre au bord de la mer, car, dit-elle, « Je le sens, même là-bas, je ne pourrai m’en débarrasser », son mari lui demande, étonné : «De quoi parles-tu ? » Ellida lui fait cette réponse « De l’effroyable, de ce pouvoir incompréhensible sur mon esprit. »

Wangel ne comprend pas. Que veut-t-elle dire ? Les paroles de sa femme résonnent de façon tellement énigmatique ! Mais comment pourrait-il en être autrement au moment même où Ellida tisse quelque chose entre l’effroyable, son attirance pour la mer, et la peur de cet homme qu’elle a aimé… Ellida dit alors: « Une peur si effroyable comme seule la mer peut en inspirer… » Et lorsque Wangel dit comprendre pourquoi sa femme se refusait à lui et ne voulait pas vivre avec lui « comme sa femme », n’est-ce pas parce qu’il a repéré le caractère sexuel de cette attirance pour la mer ?

Mais Ellida est terrorisée : la jouissance pulsionnelle qui fait retour se présente sous la forme d’un œil… qui la regarde. Ellida se sent cernée de partout et fait appel à son mari pour qu’il l’aide. Mais pourquoi ne s’est-elle pas confiée plus tôt ? Ellida : « Si je m’étais confiée à toi, alors il aurait fallu que je te confie aussi le – ». Ellida marque une pause traduite dans le texte par ce tiret : l’indicible.

L’indicible : « Le désir de l’impossible »

L’irruption en chair et en os de l’Étranger ne va pas empêcher Wangel de continuer à pousser sa femme à dire… Un dialogue s’engage. Mais d’abord, que sait-elle de lui, de cet Etranger ? Rien.

Ellida : C’est vrai, c’est cela l’effroyable.

Wangel : Oui, c’est effroyable.

Ellida : Et c’est pourquoi je dois m’y précipiter.

Wangel : Parce que c’est effroyable

Ellida : Oui, pour cela.

Wangel (s’approchant) : Écoute-moi Ellida, – qu’entends-tu par effroyable?

Ellida (réfléchissant) : L’effroyable – c’est ce qui fait peur et qui attire.

Ébranlé, Wangel se ressaisit et fait valoir son devoir de la protéger.

Ellida : « Me protéger ? Contre quoi ? Je ne suis menacée par aucune violence, par aucune puissance extérieure. L’effroyable, c’est plus profond, Wangel ! L’effroyable – c’est l’attirance qui est au fond de mon âme. Que peux-tu faire contre elle ? »

Et lorsque l’Étranger revient pour la deuxième fois chercher Ellida, et que son mari tente de la retenir, elle lui dit : « Tu peux me retenir, mais mon âme, mes pensées, – mes envies et mes désirs – eux, tu ne pourras pas les enfermer. Ils continueront à s’envoler vers l’inconnu. »

Et là où les critiques ont vu un discours en faveur de l’émancipation féminine, Ibsen, dans une formule concise, épingle le réel du côté de l’impossible.

Wangel : «  Ce désir du sans fin, du sans bornes, ce désir de l’impossible, il précipitera ton âme dans les ténèbres de la nuit. »

L’histoire se déroule en Norvège, dans « le pays où le monde passe pour aller contempler le soleil de minuit ». Nous sommes en 1888. Si Freud a déjà rencontré Charcot et Breuer, il a à peine commencé d’écrire. La psychanalyse en est à ses balbutiements. D’ailleurs, c’est du théâtre, rien que du théâtre… Où pourtant chaque mot compte… Freud, qui s’est intéressé à Rosmersholm, semble être passé à côté de texte dont il avait pourtant entendu parler par ses disciples, Ferenczi et Jung.

Jung : le nœud n’est pas dénoué mais tranché…

Car Jung aimait aussi beaucoup ce texte d’Ibsen. Dans une longue lettre datée du 10 octobre 1907[7], il entend entretenir Freud d’un « esthétiquement beau » copiant exactement La dame de la mer d’Ibsen lui écrit-il. « La construction du drame, la façon dont le nœud est agencé sont identiques à Ibsen, mais la péripétie et le dénouement ne mènent pas à la libération de la libido, mais au crépuscule de l’autoérotiseme, où le vieux dragon s’empare à nouveau de toute la libido qui lui appartient ». Et il ajoute « le nœud n’est pas dénoué, mai tranché ». Puis il évoque le cas de sa patiente pour revenir finalement à un autre nœud, qui est le nœud du transfert…

Le transfert qu’elle fait sur lui, s’il a pour conséquence de modifier l’humeur de cette jeune femme déprimée, amène également « l’irruption d’une violente excitation sexuelle »… Tout de suite après, Jung dit vouloir passer à « autre chose » et fait appel à Freud : « J’aimerais vous demander votre conseil expérimenté dans « une autre affaire. » Et il expose l’affaire : «Une dame guérie d’une névrose obsessionnelle fait de moi l’objet de ses fantasmes sexuels excessifs. Elle reconnaît mon rôle dans ses fantasmes comme maladif et aimerait par conséquent se détacher de moi et refouler ses fantasmes. » Jung est perplexe : « Que faut-il faire ? Faut-il poursuivre le traitement, qui procure à la patiente, elle l’avoue elle-même, un plaisir voluptueux, ou faut-il la repousser ? » Et il termine par cette question : « Ce cas vous est certainement familier jusqu’au dégoût; que faites-vous dans de tels cas ? »

Le retour de la libido grâce aux fantasmes sur la personne de l’analyste via le transfert ne nous paraît pas aussi éloigné que cela de ce qu’Ibsen amène dans son texte par le biais du travail d’écriture.

Le tissage du fantasme

En incitant sa femme à, dire, sous prétexte de vouloir la libérer de ses symptômes, et en particulier de cette angoisse qui ne la quitte pas, Wangel ne l’invite-t-il pas à tisser le fantasme qui va lui permettre de tenir quelque peu à distance ce réel oppressant qui la cerne de toutes parts ? Mais d’abord, cet effroyable, cet incompréhensible, qui revient du dehors, lourd d’angoisse, mais qui la fascine, ne s’est-t-il pas constitué à partir d’un rejet ? Or, si c’est la signification phallique qui est rejetée en raison de son lien à l’angoisse de la castration maternelle, n’est-il pas logique que ce qui revient hanter le sujet sous la forme d’un désir qui insiste, soit accompagné d’angoisse ?

Ce marin, l’Étranger, comme le nomme si bien Ibsen, n’incarne-t-il pas parfaitement l’une de ces « doublures errantes qui réclament leur dû », pour reprendre l’expression de Gérard Pommier[8] ?

Lorsqu’il vient chercher Ellida, faisant fi du temps qui s’est écoulé et du mari, montrant que rien ne peut l’arrêter dans sa détermination, il lui dit tout simplement : « Me voilà, suis-moi!» Son apparition brutale, aussi violente que les flots tumultueux qui étaient censés l’avoir englouti, signe le retour du déchaînement de la jouissance pulsionnelle.

En le voyant, Ellida est prise d’effroi : «  Les yeux, les yeux… ne me regardez pas ainsi ! »

Mais l’apparition du marin n’est pas seulement liée au retour du pulsionnel. En lisant attentivement le texte, on s’aperçoit qu’il est aussi question des yeux de ce marin avec la naissance d’un enfant qu’Ellida a attendu mais qui est par la suite décédé. Elle avoue à son mari que cet enfant avait les yeux du marin, aménageant ainsi à ce marin une place de père.

C’est un bien savant nouage que nous propose Ibsen. Il s’y connaissait en nœuds… marins ou pas ! Le marin est à, la fois le Réel c’est-à-dire «l’Etranger, l’Hôte qui est en nous », pour reprendre la citation de Cocteau, et un père fabriqué de toutes pièces par Ellida, tissé dans les mailles du fantasme. Que ce père se présente sous les traits d’un père aussi attirant sexuellement que violent n’a rien d’étonnant, puisque sa présence est en rapport avec l’angoisse de la castration maternelle.

Ubiquité de ce personnage envoûtant, qui, parce qu’il est le rappel de l’amour maternel et de son énigmatique désir, traîne au- dessus de lui, non seulement « les puissances de la mer » mais aussi la présence « des ailes noires et silencieuses » de la mort. Et ce, jusqu’au moment où Ellida peut lui dire, parce que le père primitif a cédé 1a place au père mort : « Pour moi, vous êtes mort. Un mort sorti de la mer qui retourne. »

Mais pour ce faire, une série d’actes a été nécessaire, au moins trois actes.

Les actes du sujet

Le premier – afin qu’Ellida puisse subjectiver ce réel effroyable- lui a demandé l’effort de sortir de cette place d’objet qu’elle pointe lorsqu’elle reproche à son mari de l’avoir achetée comme une marchandise. Si elle accepte l’idée qu’elle a bien voulu se vendre, elle veut maintenant qu’il lui rende sa liberté. Beaucoup de choses ont été écrites concernant cette histoire de liberté, liberté féminine, liberté dans le couple, la Liberté avec un grand L, mais il nous semble que seule la nécessité du passage d’une place objectivante (par le désir de l’Autre) à une place subjectivée en rapport avec le tissage du fantasme peut permettre de comprendre pourquoi tout à coup après tant d’années de mariage, Ellida fait ce grief à son mari.

Le deuxième acte, c’est le mari qui va le poser, à la fin de la pièce. Alors que dans un premier temps, il n’avait pas voulu rendre la liberté à sa femme, tentant ainsi de s’opposer à ses pulsions destructrices, et voulant la protéger malgré elle, dans un deuxième temps, il change de position et accepte de rendre la liberté à sa femme, qui, surprise, lui demande : « C’est vrai, tu peux, – tu peux faire ça[9] ! »En acceptant de la perdre, le Dr Wangel fait barrage au désir incestueux d’Ellida et la sauve du gouffre dans lequel elle était prête à se précipiter. Il fait coupure.

Le troisième acte, qui relève de la symbolisation, concerne le fait qu’Ellida, se saisissant de la liberté que son mari lui octroie, va pouvoir en « toute responsabilité » opérer un changement au niveau des différentes instances paternelles, faisant passer ce père primitif inventé, au rang de père mort, de père symbolique, et ce, par le biais d’un meurtre : « En toute liberté et en toute responsabilité », dit-elle à son mari, en ajoutant : « Il y a là comme une transformation. »

S’adressant à l’Étranger, elle lui dit alors d’une voix assurée : « Je ne vous suivrai pas. Pour moi, vous êtes un mort sorti de la mer et qui y retourne. Je n’éprouve plus d’effroi devant vous. Ni d’attirance. » Et considérant que son mari avait été un bon médecin, elle lui adresse ces paroles : « Tu as osé employer le bon remède : le seul qui pouvait me guérir. »

À l’inverse, dans Hedda Gabler, Tesman, le mari, entièrement occupé à la tâche qui le tient, va, sans en mesurer les effets ravageurs, livrer sa femme à la jouissance du juge Brack, la livrant du même coup à, la mort : « Vous viendrez rendre visite à ma femme ! », demande Tesman au juge, sachant combien lui, sera désormais occupé par son travail.

Le juge Brack : « Tous les soirs, si vous voulez, Mme Tesman ! Nous nous amuserons bien tous les deux ! » Et avant de mettre fin à ses jours, Hedda répond au juge : « Oui, c’est bien ce que vous espérez, Monsieur le juge ? seul coq du poulailler[10]»Le père de la horde n’est pas loin…


[1] S. Freud-S. Ferenczi, Correspondance, t. 1, p. 18.

[2] S. Ferenczi, « Suggestion et psychanalyse », Œuvres complètes, t. 1, p. 236-237.

[3] Nous verrons plus loin ce qu’évoque pour nous cette histoire de liberté…

[4] S. Ferenczi, op. cit.

[5] S. Ferenczi, op. cit.

[6] H. Ibsen, Peer Gynt, op.cit., Acte V, scène V, p. 173.

[7] S. Freud-C. Gjung, Correspondance, t. 1, p. 145.

[8] G. Pommier, Qu’est-ce que le « Réel » ?, Toulouse, érès, 2004, p. 15.

[9] Voici ce qu’écrit jean- Richard Freymann dans son livre Les Parures de l’oralité (Arcanesérès, 1994) : « Peut-il me perdre ? est la formulation élaborée qui assoit les fantasmes d’exclusion dans une reconnaissance implicite de cette place du désir au-delà de la demande. » (Chapitre « Zurücksetzung et Urteil ou du fantasme à la séparation », p. 25.)

[10] H. Ibsen, Hedda Gabler, op. cit., p. 265.

 

Écrits / Autour de La Dame de la mer

 

Henrik Ibsen / Premier Manuscrit de « La Dame de la mer »

Le petit point de relâche des vapeurs de touristes. On ne s’y arrête que lorsqu’il y a des voyageurs à débarquer ou à embarquer. Hauts fjelds escarpés tout autour. On ne voit pas la haute mer. Rien que le fjord sinueux. (…)

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P.G. La Chesnais / Notices

Le 10 novembre 1886, Ibsen écrivit à Brandès : « Nous irons peut-être en Danemark l’été prochain. Nous avons tous deux grande envie de passer quelques mois à Skagen. J’espère donc que nous nous verrons à Copenhague. » (…)

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Françoise Decant / La Dame de la mer ou le désir de l’impossible

Ferenczi s’était beaucoup intéressé à la Dame de la mer, et il était allé jusqu’à faire un rapprochement entre l’intrigue de la pièce et la dynamique d’une analyse mettant le mari, le docteur Wangel, en place de psychanalyste. (…)

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Sylviane Agacinski / L’Appel de la mer : Ellida

La Dame de la mer (1888) est une pièce à part. C’est la seule œuvre dans laquelle Ibsen ose traiter directement de la folie du désir, même si c’est pour mieux en programmer la guérison. Je ne peux m’empêcher d’y voir le pendant de Brand, comme si, (…)

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Lou Andreas Salomé / Ellida

Contagion, maladie, mort – voilà les noms servant à dénoter l’attraction, l’amour, le mariage dans Rosmersholm. Ce sont, en effet, les vieux antonymes de l’instinct et du dogme,  (…)

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Bernard Shaw / The Lady from the sea

Ibsen’s next play, though It deals with the old theme, does not insist on the power of Ideals to kill, as the two previous plays do. It rather deals with the origin of ideals In unhappiness, (…)

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Jules de Gaultier / De la transsubstantiation dramatique

Voici une pièce qui renferme, outre les éléments primordiaux constitutifs de tout drame d’Ibsen, un exemple de cette sorte : La Dame de la Mer. Evoluant au premier plan du drame, c’est l’intrigue que l’on connaît  (…)

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Henri Bordeaux / Henrik Ibsen

« Je ne suis pas celle que tu croyais épouser » murmure douloureusement Ellida à son mari Wangel dans la Dame de la mer. Là non plus leur vie conjugale n’est point faite de franchise et de sincérité.  (…)

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Jacques Robichez / Initiation de Lugné-Poe à Ibsen

Pour quelles raisons le choix des Escholiers s’était-il porté surLa Dame de la Mer ? Chronologiquement, la pièce précède immédiatement Hedda Gabler. Les deux drames avaient été joués à Londres au printemps de 1891 à quelques jours d’intervalle. (…)

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Michael Meyer / The Lady from the sea – Introduction

The Lady from the Sea represents an important turning-point in Ibsens work. He wrote it in 1888, at the age of sixty ; it was the twenty-first of his twenty-six completed plays. Twenty years before, having explored the possibilities of poetic drama (…)

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Sandor Ferenczi / Suggestion et Psychanalyse

Il n’est pas rare de retrouver dans nos analyses le drame qui se joue de façon si émouvante dans la pièce d’Ibsen, La Dame de la Mer. L’héroïne est la femme d’un médecin qui, bien qu’elle ait tout pour être heureuse, est la victime d’obsessions graves. (…)

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Otto Rank / Le Motif de l’époux de retour chez lui

Ce motif de l’époux de retour chez lui est présent, spécialement dans les chansons populaires, dans la littérature du monde entier mais apparaît le plus souvent détaché de sa racine dans le roman familial incestueux, (…)

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G. Jung / Lettre à Freud du 10 octobre 1907

Très honoré Monsieur le Professeur! Recevez les plus chaleureux remerciements pour l’excellente photographie et la splendide médaille. Tous deux me font extraordinairement plaisir. Je vais immédiatement vous envoyer également mon portrait, (…)

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Monique Borie / Ibsen ou les multiples visages des revenants

L’impossible clôture d’un espace humain toujours menacé par les puissances d’un dehors, véritable espace d’une altérité menaçante, constitue aussi, dans cette fin du XIXè siècle, l’un des pivots de la dramaturgie ibsénienne (…)

Camille et La Dame de la mer

 

« Je suis tombée sous le charme de La dame de la mer dès la première lecture. Comment ne pas m’identifier à cette femme si moderne qui, justement, s’applique à rompre le charme ? Qui, plutôt que de céder, telle une héroïne tragique, à un inextricable conflit intérieur, accepte de s’en libérer par le dialogue ?

En choisissant son mari plutôt qu’un ténébreux marin, elle se libère de ses propres fantasmes et ouvre la voie au véritable amour et, selon moi, à la création…

C’est à cet appel du large au sens onirique que je réponds. Jouer la dame de la mer, c’est lui donner une voix, une voix qui parle, qui dialogue, mais aussi une voix qui chante, qui s’égare d’abord pour enfin s’incarner, qui de voix intérieure se mue en célébration de l’eau et des rêves.»

Camille

 

 

 

 

 

The Lady from the sea / Michael Meyer

The Lady from the sea

Introduction à sa traduction de la pièce, par Michael Meyer, dans Ibsen Plays: Three, Methuen Drama, 1961

The Lady from the Sea represents an important turning-point in Ibsens work. He wrote it in 1888, at the age of sixty ; it was the twenty-first of his twenty-six completed plays.

Twenty years before, having explored the possibilities of poetic drama in Brand (1865) and Peer Gynt (1867), and of historical drama in a string of early plays culminating in Emperor and Gafilean (begun in 1864 and finished in 1873), he had turned to the business of exposing the vanities and weaknesses of contemporary society. The League of Youth (1869) attacked the hollowness of radical politicians; The Pillars of Society (1877) attacked with equal vehemence the hollwness of conservatism. Then, turning his attention from the hypocrisy of politicians to the hypocrisy of social conventions, he wrote A Doll’s House (1879), Ghosts (1881) and An Ennemy of the People (1882). The three plays that followed, The wild Duck (1884), Rosmersholm (1886) and The Lady from the sea (1888) were less studies of social problems than of the sickness of the individual; and this is also true of the five mighty dramas of his old age, Hedda Gabler (1890), The Master Builder (1892), Little Eyolf (1894), John Gabriel Borkman (1896) and When We Dead Awaken (1899).

The Lady from the Sea, more than any other of his plays, impressed lbsen’s contemporaries as signifying a change of heart. Within a few days of its publication Ibsen’s earliest champion in England, Edmund Gosse, wrote: « There is thrown over the whole play a glamour of romance, of mystery, of landscape beauty, which has not appeared in Ibsens work to anything like the same extent since Peer Gynt. And moreover, after so many tragedies, this is a comedy…. The Lady the Sea is connected with the previous plays by its emphatic defence of individuality. and its statement of the imperative necessity of developing it; but the tone is quite unusually sunny, and without a tinge of pessimism. It is in some respects the reverse of Rosmersholm; the bitterness of restrained and baulked individuality, which ends in death, being contrasted with the sweetness of emancipated and gratified individuality, which leads to health and peace ».

Later, in a speech delivered in Norway in 1906, the year of Ibsen’s death, the Danish critic, Georg Brandes, recalled a conversation he had had with Ibsen shortly before he began to, write The Lady from the Sea. « I remember that, after Ibsen had written Rosmersholm, he said to me one day: ‘Now I shan’t write any more polemical plays’. Good God, I thought, what will become of the man ? But, as we know, he kept his word. His last plays are not polemical, but are plays about families and the individual. The différence between these two groups of (prose) plays is shown by the fact that of the first six (The Pillars of Society, A Doll’s Ilouse, Chosts, An Enemy of the People, The Wild Duck and Rosmersholm), only one, An Enemy of the People, is named after its chief character, while all the plays in the group beginning with The Lady from the Sea, except the last (When We Dead Awaken), have as their title the name or nickname of a person. »

To understand the reasons for this change of heart, we must go back three years from, the time Ibsen wrote The Lady from the Sea, to 1885.

In the summer of that year he had returned to Norway from his self-imposed exile in Italy and Germany for only the second time in twenty-one years. His previous visit (to Christiania in 1874) had not been altogether happy; but on this occasion he travelled beyond the capital to the little seaside town of Molde, high up on the north-west coast. Although he had been born by the sea, in the port of Skien, and had spent all his vouth and early manhood withim sight of it, he had since 1864 been living in Rome, Dresden and Munich and, apart from that one brief visit to Christiania, had not seen the ocean; for he did not count the quiet waters of the Mediterranean as such. Molde brought back to hom memories of Grimstad and Bergen, and it is related that he stood for « hour after hour gazing down into the fjord, or out at the rough waters of the Atlantic.

People in Molde told him strange stories about the sea, ans the power it had over those who lived near it. Two tales in particular remained in his mind. Onte, told him by a lady, was a Finn who, by means of the troll-powers in his eyes, has induced a clergyman’s wife to leave husband, children and home and stayed away for many years, so that his family believed him dead ; suddenly he returned, and found his wife married with another man.

The first story must have reminded Ibsen of his own mother-in-law, Magdalene Thoresen, who had fled from her native Denmark to escape from a love affair with an Icelandic poet, and had married a widowed cergyman seventeen years her senior. In one of her letters she has left a vivid account of what happened. « While I was studying in Copenhagen I met a youg man, a wild, strange, elemental creature. We studied together, and I had to yield before his mounstrous and demonic will. With him I could have found passion and fulfilment ; I still believe that… Now I have never regretted that he let me go, for as a result I met a better person, and have lived a better life. But I have always been conscious that he could have nurtered into flower that love of which my spirit was capable. So I have lived my life oppressed by a feeling of want and longing. » Of her husband she said : « Thoresen was my friend, my father and my brother, and I was his friend, his child… He was a man to whom I could openly and unhesitatingly say anything to be understood. » She had already told him of « a tragic incident in my restless life. But I bade him regard the past, those year when I had been ignorant, helpless and unprotected, years which I found it impossible to explain either to myself or to anyone else, as a closed book. I begged him to accept me as I was as the result of that struggle and, ir he thought me worthy of it, to let the rest be blotted out. He accepted me.

Magdalene Thoresen was powerfully affected by the sea and could hardly live away from it. Even in old age she had to go down every day to bathe in the surf. « People in Norway, Ibsen said to a German friend while he was writing The Lady from the Sea, are spiritually under the domination of the sea. I do not believe other People can fully understand it. »

During the winter of 1885, after his return from Molde, Ibsen was occupied with planning Rosmersholm. As usual, he did not put pen to paper until the summer, and completed the play in September 1886. Certain traits in the character of Rebecca West in Rosmersholm am plainlly influenced by Ibsen’s stay in Molde. She is obsessed by the sea; Ulrik Brendel calls her « a mermaid » and she compares herself to the sea-trolls which, according to legend, clung to ships and hindered their sailing.

Ibsen had determined to revisit the northern su again the following summer, but in the meantime there occurred a chain of events which, though unconnected with the sea, were also to leave their mark on his next play.

In December 1886, shortly after he had completed Rosmersholm, Ibsen was invited by Duke George II of Saxe Meiningen to visit Liebenstein for a theatrical festival, in the course of which, among other plays, Ghosts was to be performed. Duke George was the patron and inspirer of the famous Meiningen troupe which, under its director Chronegk, so influenced theatrical managers all over Europe during the eighteen-cighties (including Antoine, Otto Brahm, Stanislavsky and Henry Irving, who was much impressed by their lighting and grouping when he saw them in London in 1881). It was not the first time Ibsen had been a guest of the Duke, for as long ago as 1876 he had visited Meiningen to see a performance of The Pretenders – a performance which may possibly have influenced his subsequent writing. This time, however, the Duke showed Ibsen signs of especial favour which evidendy left a deep impression on him. In his letter of thanks Ibsen speaks of « a long and deeply cherished dream » having been fulfilled, and says that the memories of his stay at Liebenstein will remain with him to enrich his remaining days. During the next few months his plays were performed with success in town after town throughout Germany; he was repeatedly feted, three books were published about him, and eminent German authors praised him, and wrote poems in his honour. In France, too, and even England, people were beginning to take serious notice of him at last. He had attracted attention in these countries through A Doll’s House and Ghosts, but hitherto his reputation outside Scandinavia had still largely been that of a revolutionary. Now lie was beginning to be looked upon as an altogether larger and more permanent figure; and Ibsen, like most revélutionary writers, was much gratified at being at last accepted by what is nowadays known as « the Establishment ».

Next summer (1887) Ibsen retumed apin to the north; but this time lie chose, not Norway, but Denmark. At first he went to Frederikshavn, but « I was frightened away froin that town, which has become a colony for artistic coteries, » and lie moved after ten days to the little town of Sæby, on the east coast of north Jutland. He found this much more to his liking and, as at Molde two years before, spent hours each day gazing out to, sea. A nineteen-year-old Danish girl nanied Engelke Wulff, who was also staying at Sœby, noted on the beach « a little, broad-shouldered man, with grey side whiskers and eyebrows. He stood staring out across the water, with his hand shading his eyes. He had a stick with him with which lie supported himself while lie took a book out and wrote something in it. From where I sat and watched him, I supposed him to be drawing the sea. » Ibsen saw her, too, as she sat doing her handwork, and after a time got into conversation with her. She told him of her longing to see the world, and of her love of the theatre, and he promised that he would put her into his next play. One thinks immediately of Bolette; but in fact, when they met by chance in a street in Christiania some years later, lie called her « my Hilde », and one must assume that some of Hilde’s lines in The Lady from the Sea, if not her character, stemmed from his conversations with Engelke Wulff on the beach at Sæby.

Another young lady from Sæby imprinted herself on Ibsen’s memory, though he never met her, for the good reason that since 1883 she had been lying in Sœby churchyard. Her name was Adda Ravnkilde; she was a talented young writer who had killed herself at the age of twenty-one, leaving behind her several stories and a novel, which was later published with a foreword by Georg Brandes. One theme recurs throughout her writings; the unsuccessful efforts of a young girl to free herself of her obsession for a man who she knows is not worthy of her. Ibsen read her writings, and visited her home and her grave. Her story, like the one he had heard in Molde, must have made him think of Magdalene Thoresen; Magdalene had succeeded in escaping front her obsession, but if she had not she might have suffered the same fate as this young girl.

On 12 September 1887 Ibsen made a speech at Gothenburg, in the course of which he said that his polemical interests were waning and, with them, his eagerness for battle. Twelve days later, in a speech in Stockholm, he startled his audience by describing himself as an « optimist, » declaring that he believed the world was entering a new epoch in which old differences would be reconciled and humanity would find happiness. On 5 October he attended a dinner in the Copenhagen home of his publisher, Hegel. In bis address of thanks Ibsen said that this summer, in Denmark, he had discovered the sea; that the smooth and pleasant Danish sea, which one could come close to, without feeling that mountains cut off the approach, had given his soul rest and peace, and that he was carrying away memories of the sea which would hold significance for his life and his writing.

In addition to, bis rediscovery of the sea, and the international recognition that was now being accorded him, a third mollifying influence should be mentioned. During the eighteen months that clapsed between the completion of Rosmersholm and the beginning of The Lady from the Sea, Ibsen held a number of conversations with Henrik Jæger, who was preparing the first authorised biography  for publication in 1888, in honour of Ibsens sixtieth birthday. In the course of these conversations Ibsen recalled many old memories, to help Jæger with the early chapters. These memories included some which Ibsen had tried to forget; but now, when he dragged thent out into the daylight, he found that they no longer had the power to frighten him. Consequently, as Professor Francis Bull has observed, Ibsen must have felt impelled to ask himself whether it did not lie within a man’s power to drive away « ghosts » and « white horses, » of whatever kind, provided he had the courage to look his past in the face and make his choice between the past and the present, a choice taken « in freedom and full responsibility. » In Rosmersholm a potentially happy relationship between two people is destroyed by the power of the past; in The Lady from the Sea Wangel and Ellida overcome that power, and il may be that Ibsens conversations with Jæger gave him a new confidence, if only a temporary one, in man’s ability to escape from the terror of his own history.

A fourth influence, though scarcely a mollifying one, was the increasing interest of scientists during the eighteeneighties in the phenomena of hypnosis and suggestion. Throughout Europe during this decade writers were being infected with this interest; Ibsen’s preliminary jottings for The Wild Duck in 1884 contain references to « the sixth sense » and « magnetic influence, » and Strindberg’s Creditors, written in the same year as The Lady from the Sea, is closely concerned with « magnetism » and hypnosis.

It was Ibsen’s practice to allow eighteen months to elapse after the completion of a play before beginning to write another; he would meditate long on a theme before putting pen to paper. Consequently it was not until 5 june 1888 that he made the first rough notes for Rosmersholm‘s successor, which he provisionally entitled The Mermaid. Five days later he began the actual writing. It look him nine weeks to complete his first draft, and since in his manuscript he dated each act we can tell exactly how long the various stages of the play took him. Act I is dated zo-16 june; Act Il, 21-28 june; Act 111, 2-7 july; Act IV, 12-22 july; and Act V, 24-31 july. Early in August he began to revise the play, and by 18 August he had corrected the first two acts to his satisfaction. Two days later he began to revise the third act, and on 31 August he started on the fourth. We do not know when he finished his revision, but on 25 September he posted his final manuscript to Hegel, and on 28 November 1888 the play was published by Gyldendal in Copenhagen under the new title of The Lady front the Sea, in a first printing of 10,000 copies. It was first performed on 12 February 1889, simultaneously at the Christiania Theatre, Christiania, and at the Hoftheater, Weimar.

When The Lady front the Sea first appeared, most of the critics were puzzled, especially in Norway, and apart from a production at the Schauspielhaus in Berlin in 1889 the play seems never fully to have succeeded in Ibsen’s lifetime. Its psychology struck his contemporaries as fanciful and unconvincing, although Kierkegaard had long ago asserted, as Freud was shortly to assert, the importance of aflowing someone who is psychologically sick to be faced with some kind of choice and to make his own decision. When, however, The Lady from the Sea was revived in Oslo in 1928, on the centenary of Ibsen’s birth, Halvdan Koht wrote: « It was a surprise to find how fresh the play seemed…. What especially impressed everyone was how closely the whole conception of the play was related to the very latest scientific psychology, both that which Pierre Janet had originated in the nineties, and the ‘psycho-analysis’ which Sigmund Freud had founded at the same time, and which became universally known shortly after the beginning of the twentieth century. The Lady from the Sea instantly acquired a new meaning and new life. Science had in the meantime seized on all morbid activities of the soul, had penetrated into all its borderlands, and had tried to follow all the suppressed impulses in their subconscious effect, the strife between original, suppressed will or desire, and acquired, thought-directed will. With poetic insight Ibsen had seemed to foresee all this. He envisaged a woman who felt hampere and bound in her marriage because she had married, not for love, but for material support, and in whom there consequently arose a series of distorted imaginings which gripped her nünd like witchcraft. She needed a doctor, so Ibsen made her husband one–he had at first intended to make him a lawyer. Morcover, Ibsen discovered the remedy for Ellida; he gave her back her full sense of frecdom…. As early as Love’s Comedy (1862) he had declared war on all marriage which was not built upon full freedom, and now he wished to picture a marriage which, from being a business arrangement, became a fre and generous exchange. Ellida was to experience what Nora (in A Dolls House) missed «  the miracle ».

Ibsen’s rough notes and draft of The Lady from the Sea provide some interesting revelations of the dramatist’s mind at work. At first, as already explained, he intended to make Wangel a lawyer, « refined, well-born, bitter. His past stained by a rash affair. In consequence, his future career is blocked. » But he abandoned this conception, and Wangel became instead a kindly and understanding doctor. His wife first appears as Thora (perhaps after Magdalene Thoresen), but Ibsen changed this to Ellida. In the Saga of Frithiof the Bold there is a ship named Ellide, « which, » Halvdan Koht points out in his biography of Ibsen, « there means something like ‘the storm-goer.’ Such a name gave a stronger suggestion of storm and mysterious troll-powers; the ship Ellide in the saga was almost like a living person fighting its way against evil spirits that tried to drag it down ». Ibsen originally intended that Ellida should have broken her engagement with the seaman because of social and moral prejudices derived from his upbringing; but, significantly, he discarded this motive, and the conflict between Wangel and the Stranger became instead a struggle to gain control over the subconscious powers of her soul. Ibsen also planned at first to have an extra group of characters who would represent the outside world and be contrasted with the inhabitants of the little town, but he scrapped this idea, presumably to achieve stronger dramatic concentration.

Lyngstrand, the consumptive sculptor, had made a phantom appearance four years earlier in Ibsen’s first notes for The Wild Duck. Bolette and Hilde seem to have been present in Ibsen’s mind while he was planning Rosmersholm, since his early notes for that play contain mention of Rosmers two daughters by his dead wife, the elder of whom « is in danger of succumbing to inactivity and loneliness. She has rich talents, which are lying unused, » while the younger daughter is « sharply observant; passions beginning to dawn. » Among the characters Ibsen considered putting into The Lady from the Sea, but subsequently discarded, was «an old married clerk. In his youth wrote a play, which was performed once. Is continually touching it up, and lives in the illusion of getting it published and becoming famous. » This character, who appears to have been based on a friend of Ibsen’s youth named Vilhelm Foss, turned up four plays later as Vilhelm Foldal in John Gabriel Borkman. Hilde Wangel was to reappear formidably in The Master Bailder.

The early notes for The Lady from the Sea also contain mention of a « strange passenger », visiting with the steamer, who « once felt a deep attachment to her [Ellida] when she was engaged to the young sailor ». This character was clarified into Hesler, a civil servant; then Ibsen altered his name to Arenholdt, Askeholm and, finally, Amholm, and turned him from a civil servant into a schoolmaster.

The « young sailor » does not figure in Ibsen’s first castlist, and Ibsen seems to have intended that he should not appear; then he hit on the notion of making him, and not Arnholm, « the strange passenger » or, as he finally called him, « the Stranger ». The Stranger is (unless one reckons Ulrik Brendel in Rosmersholm as such) the predecessor of those intruders from the Outside World who enter so importantly into Ibsen’s later plays: Hilde in The Master Builder, The Rat Wife in Little Eyolf, Mrs Wilton in John Gabriel Borkman, the Nun in When We Dead Awaken.

After several productions had failed to portray the Stranger satisfactorily, Ibsen issued a directive that this character « shall always stand in the background, half concealed by the bushes; only the upper half of his body visible, against the moonlight. » In a letter to Julius Hoffory he stressed that the Stranger « has come as a passenger on a tourist steamer. He does not belong to the crew. He wears tourist dress, not travelling clothes. No-one knows what he is, or who he is, or what his real name is. » At Weimar, where he thought the production « quite admirable », though Wangel and Lyngstrand were disappointing, he allowed himself an unusual luxury in the way of praise. « I cannot wish for, and can hardly imagine, a better representation of the Stranger than the one I saw here. A long, lean figure, with a hawk face, black, piercing eyes and a splendid deep, quiet voice. »

The incident of the rings which Ellida and the Stranger throw into the sea as a token of betrothal was borrowed from Ibsen’s own experience. Thirty-five years before, in his early days as an apprentice at the theatre in Bergen, he had fallen in love with a fifteen-year-old girl named Rikke Holst, and they had betrothed themselves to cach other in just this way. Rikke’s father had broken off the match and, three years before he wrote The Lady from the Sea, Ibsen had reencountered his former fiancée, now married to a rich business man and surrounded by numerous children. That meeting, too, left its mark on the play.

The objection most commonly raised against The Lady from the Sea is the difficulty of making the climactical moment of Ellida’s choice seem convincing. In this connection Dr Gunnar Ollèn has written: « No one who saw theproduction in Vienna in the spring of 1950, with Attila Hörbiger as Wangel and Paula Wessely as Ellida, will share the opinion that Ellida’s choice is implausible. The way Hörbiger played the scene in which he gives Ellida her freedom, her choice seemed utterly natural. He became red in the face, and had difficulty in enunciating his words, standing absolutely motionless and upright, with tears streaming down his cheeks. Quite simply, a stronger emotional power emanated from her husband than from the sailor. She … stared at Wangel as though seeing him for the first time, and then walked slowly across to him as though magneticaIly drawn. It was as if two hypnotists were fighting to gain control of a medium »

Pirandello particularly admired The Lady from the Sea, and Ellida was Eleonora Duse’s favourite role among the many of Ibsens in which she excelled. She chose it both for her « farwell performance » in 1909, and for her come-back twelve years later. In 1923 she played it in London, at the New Oxford Theatre, and James Agate bas left a memorable description of her performance:

« This play is a godsend to a great artist whose forte is not so much doing as suffering that which Fate has donc to her. With Duse, speech is silver and silence golden…. The long second act was a symphony for the voice, but to me the scene of greatest marvel was the third act. In this Duse scalled incredible heights. There was one moment when, drawn by every fibre of her being to the unknown irresistible of the Stranger and the sea, she blotted herself behind her husband and took comfort and courage from his hand. Here terror and ecstasy sweep over her face with that curions effect which this actress alone knows, – as though this were not present stress but havoc remembered of past time. Her features have the placidity of long grief; so many storms have broken over them that nothing can disturb again this sea of calm distress. If there be in acting such a thing as pure passion divorced from the body yet expressed in terms of the body, it is here. Now and again in this strange play Duse would seem to pass beyond our ken, and where she has been there is only a fragrance and a sound in our ears like water flowing under the stars. »

Duse’s interpretation remained unchallenged for over half a century. Then, in 1976, Vanessa Redgrave played Ellida in a production of The Lady from the Sea by Tony Richardson at the Circle in the Square, New York. Her performance was unanimously admired. Two years later, she acted the part again in a new and even better production by Michael Elliott at the Royal Exchange Theatre, Manchester, transferring (16 May 1979) to the Round House in London, amid further acclaim. « She combines» wrote Michael Coveney in the Financial Times, « animal passion and suffocating doubt in a marvellous expression of Ellida’s inner struggle »; and Francis King prophesied in the Sunday Telegraph: « I suspect that one day we shall be reminiscing about Miss Redgraves Ellida as fondly as gaffers now reminisce about Duse ». It was indeed one of the great Ibsen performances and productions.

MICHAEL MEYER